Le christianisme est fondé sur un devoir de mémoire : « Faites cela en mémoire de moi. » Ce sont les derniers mots de Jésus à ses disciples attablés autour de lui avant qu’il soit « livré », des paroles d’adieu, un ultime message, son testament. La singularité du christianisme tient fondamentalement à la manière de s’acquitter de ce devoir.
Dans les récits de la Cène transmis par les trois évangiles de Matthieu, Marc et Luc, l’acte de mémoire consiste en un double faire : faire mémoire de Jésus en refaisant ce qu’il dit de faire. Il s’agit d’abord de se souvenir de sa personne, et surtout de ce qui va lui arriver et qui est évoqué par les paroles qu’il prononce au même moment sur le pain et le vin : « Mon corps donné pour vous, mon sang versé pour vous. » Il s’agit ensuite de répéter ce qu’il fait à cette table, d’accomplir ce qu’il prescrit, qui est l’acte de partager un repas : « Prenez et mangez, prenez et buvez. » Le premier faire donne sens au second, celui-ci donne effectivité à celui-là, ils sont inséparables l’un de l’autre.
Or, l’apôtre Paul, chez qui nous lisons le tout premier récit de la Cène du Seigneur, précise la signification qu’elle prenait dans les célébrations des temps apostoliques, qui a donc aussi pour nous valeur fondamentale, en concluant ainsi son récit : « Chaque fois que vous mangez de ce pain et buvez à cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. » Voici que le souvenir doit devenir annonce et attente, et donc se retourner du dedans vers le dehors, et du passé vers le futur. Car l’annonce s’adresse à ceux qui ne savent pas encore, qui ne sont pas à table, elle les informe et les invite ; l’attente met les convives en état de veille et les pousse au-devant de Celui qui vient. L’annonce projette