Si le caractère authentiquement chrétien, mystique, de l’œuvre de Miguel de Unamuno (1864-1936) ne prête plus guère à discussion, sa réputation sulfureuse n'en reste pas moins vivace. Et quand je dis « réputation sulfureuse », je pèse mes mots, car Unamuno est à ma connaissance le dernier auteur à avoir été mis à l'index durant l'agonie de Pie XII, en 1957, juste avant que l'index soit suspendu durant le concile Vatican II et définitivement supprimé par Paul VI en 1966. En effet, la majorité des évêques espagnols avaient bien des raisons d'intervenir ainsi, car, vingt ans après sa mort, son influence, notamment auprès des jeunes catholiques de gauche en Espagne, ne cessait de croître 1.
La position philosophique de base d'Unamuno est vitaliste, mais, contrairement à un Blondel, voire à un Teilhard de Chardin, puis aux différents personnalistes qui ont tenté une synthèse entre vitalisme et rationalisme aristotélicien, Unamuno intègre par exemple la position d'un Bergson comme du spiritualisme à l'état pur, et donc, si j'ose dire, comme un parfait « irrationalisme ». Il répète à qui veut bien l'entendre le credo quia absurdum de Tertullien, il revendique le pari pascalien, il se prépare toujours au saut kierkegaardien. Unamuno ne nie aucunement les fondements de la foi : il nie simplement le bien-fondé des preuves rationnelles ou rationalistes que l'on adosse à la foi. Voilà pourquoi il fait une confiance aveugle en l'expérience des mystiques espagnols et cite les philosophes allemands et français uniquement pour s'en moquer, suspects qu'ils sont à ses yeux de ne pas incarner leur pensée.

UNE EXISTENCE MOUVEMENTÉE


Miguel de Unamuno est né en 1864 à Bilbao dans une famille catholique basque. Son père est commerçant et mourra lorsque Miguel a six ans. En 1874, Bilbao est bombardée par les troupes carlistes favorables à la monarchie absolue contre la monarchie libérale alors au pouvoir. Le bombardement est l'événement majeur de son enfance. Première prise de conscience politique, mais aussi découverte de son grand remède à l'angoisse existentielle : pendant les bombardements, dans la cave, il devient expert dans la confection des cocottes en papier. Il deviendra célèbre en la matière, organisant des concours, décernant des prix, et écrivant même à Paris où il mourait