Ces deux essais livrent une réflexion nourrie par les pensées de Søren Kierkegaard et de Maurice Bellet. Le premier, dont la réflexion puissante et libre est sans concession, affirme que le christianisme n'est pas encore arrivé et que tout reste à faire. Dominique Collin reprend le dossier « christianisme » pour montrer comment on s'applique à passer à côté de l'Évangile à cause de ce « fatidique suffixe -isme qui fige en doctrine tout ce à quoi il adhère » (p. 24). L'attaque porte essentiellement sur la croyance – avec tout son cortège d'utilité, de calcul, de savoir – et non sur la foi dont l'« objet » demeure le royaume de Dieu, « le malheur du christianisme est d'avoir oublié le royaume de Dieu qui est à la fois son centre de gravité et… son à-venir » (p. 174) et de lui avoir « substitué le discours de la rédemption », de la normativité. le Royaume advient par effraction et doit s'accueillir. Il est immaîtrisable alors que la normativité s'apprend, se contrôle, s'évalue. On pourra regretter l'usage de néologismes qui alourdissent la lecture, mais retenons que Dominique Collin nous invite à renoncer à « croire que », à nous dépouiller de la tentation du savoir pour enfin, « croire en », prendre le risque de la confiance, c'est-à-dire oser entendre l'appel à exister.

Dans la même veine percutante, L'Évangile inouï demande pour quelles raisons « une humanité dépossédée du futur » dans ce contexte de catastrophe climatique pourrait voir en l'Évangile une « pensée neuve qui pourrait rendre raison ». Il pose d'emblée l'horizon décisif et paradoxal de l'Évangile lorsqu'il nous interpelle : « Y a-t-il une Vie avant la mort ? » (p. 54). Question qui oblige le lecteur à une opération de déblaiement de tous les commentaires qui posent un voile sur la Bonne Nouvelle au point de la rendre inaudible. Car ce qu'il y a à entendre d'inouï, c'est qu'il est possible de vivre en étant Soi et que ce « Moi, je » étriqué et infantile, qui nie les failles, cherche les garanties et pousse au « dévivre », n'a pas vocation à nous conduire en maître. Mais pour que cela soit possible, il faut redonner la parole à l'Évangile et l'entendre s'adresser à l'intime disant : « Adviens, traverse ces impuissances, sors de ce “moi”, inverse la logique du monde pour atteindre ce qui te fonde. » Il y a donc une manière de lire qui rend ce travail de la Parole en nous possible mais qui exige une « nouvelle qualité d'écoute » (p. 98), celle des disciples passés au feu de l'appauvrissement d'un certain rapport comptable à l'existence et à l'Évangile. Lire l'Évangile devient la rencontre de cet Autre qui fait sortir de soi, qui déplace et dérange, qui dit des « choses impossibles à dire » et qui somme de choisir sa voie : « Souviens-toi de vivre ! » Cet ouvrage est dense et nécessite une approche lente car il questionne les sujets en les creusant toujours un peu plus profondément. Une table des références bibliques serait précieuse car les analyses de certains passages (par exemple, le Bon Samaritain ou le lavement des pieds) sont vraiment suggestives. C'est un ouvrage de fond qui devrait aider les accompagnateurs et tous les amoureux de la parole de Dieu à mieux la « pratiquer » et surtout à en vivre.