Dans un très beau livre 1, la théologienne allemande Dorothee Soelle soutient que les sociétés riches du monde occidental contemporain souffrent d’un manque vital de spiritualité. Selon elle, la raison pour laquelle tant de femmes et d’hommes sont en quête de sens et à la recherche de mysticisme, souvent dans des traditions éloignées de celle qui les a formées, vient du fait que les riches vivent une faim spirituelle qu’elle qualifie de catastrophique. Et l’absence de résistance à la superficialité et à la culture de l’accessoire qui caractérisent nos sociétés occidentales est peut-être ce qui fait le plus barrage au mys­ticisme. Dorothee Soelle déplore que la capacité d’émerveillement de l’enfant et sa réceptivité au mystère se perdent tôt dans la vie adulte et avec elles une vision mystique de l’existence.
C’est avec la même conviction que le P. Laurence Freeman, béné­dictin et accompagnateur de la Communauté mondiale de méditants chrétiens 2, soutient que l’enseignement de la tradition mystique aux adultes et l’enseignement de la prière contemplative aux enfants sont indispensables dans les périodes de bouleversements religieux comme la nôtre. Ce qu’on pourrait appeler un « sous-développement religieux » est sans doute inconsciemment accepté par la majorité des laïques, comme si contemplation et cloître étaient synonymes. Mais, dit le P. Freeman, « lorsque la religion rejette le contemplatif, elle se rejette elle-même, [car] la prière contemplative est le centre toujours plus profond de gravité spirituelle, le pivot de l’équilibre humain » 3. Monastère et contemplation ne sont pas synonymes. Nous sommes toutes et tous appelés à être des contemplatifs là où nous sommes, au coeur de la vie.
Je voudrais ici faire partager ma réflexion sur certains aspects de l’enseignement de base de la tradition mystique chrétienne, et sur son remarquable renouveau actuel que nous devons à John Main (1926-1982), moine irlandais bénédictin, et au P. Freeman, son héritier spirituel. Mais c’est le vécu de la méditation qui me pousse à témoigner de son enjeu et de ses fruits. « Les contemplatifs savent que l’oeuvre qu’ils accomplissent dans le silence et l’immobilité at­teint et modifie la personne tout entière » 4 : ces paroles de Freeman sont en résonance profonde avec mon expérience. Je médite depuis cinq