Cet article est le témoignage d'un jésuite qui, à l'âge mûr, a choisi d'entrer dans le monde du travail hospitalier par le plus humble des métiers aide-soignant de nuit pendant près de vingt ans. Ainsi a-t-il pu accompagner un grand nombre d'hommes et de femmes confrontés dans la solitude à la situation humiliante des malades, afin de les aider, au sein d'une modeste équipe, à retrouver leur dignité.

J’avais l'intention et le temps d'écrire ce soir, mais curieusement cela me fut impossible : des visages aux traits multiples venant sans cesse entraver les idées, j'ai compris peu à peu que la nuit ne se dévoile pas au milieu du jour dans un discours clair et accessible, que l'obscur se livre plus comme une suggestion que dans l'approbation claire, immédiatement comprise.
Cela, je ne le savais pas lorsque j'ai demandé « la nuit » pour en faire l'expérience pendant les réparations de mon service de « soins intensifs ». J'ignorais que je serais séduit par l'ombre et que la nuit me garderait. J'ai vécu dans son intimité non seulement dans les différentes unités où je suis passé, principalement « médecine » (quatre ans seul sous la responsabilité d'une infirmière qui se partageait entre deux, trois ou quatre services), mais aussi, plus ponctuellement, dans de longs séjours privés, accompagnement à domicile et stages dans les unités de soins palliatifs à l'étranger.

En humble place


Je voudrais gommer les images passées qui faisaient de la nuit, confiée à un personnel peu diplômé appelé « veilleurs », un temps vide séparant deux journées de soin, un temps où il ne se passait rien d'important. Des efforts sont faits par l'encadrement, efforts méritoires mais pas encore opérationnels, pour réintégrer les « gens de la nuit » dans l'équipe globale au nom de la continuité des soins. A son arrivée dans un nouveau service, il est possible à une « veilleuse », par un simple arrangement avec une collègue, de « passer de jour » quelques heures pour connaître et être connue. Cela peut faire tomber les images négatives qui font du veilleur quelqu'un qui n'a rien à faire, qui ne fait que manger, boire, parler et dormir, répondre aux sonnettes, assurant la sécurité minimum et les inévitables « changes ».
Pour que la « relève » puisse être complète, dépasser le cadre de ce qui est à faire et permettre de parler des personnes, je suis toujours arrivé quinze minutes avant l'heure. Ce qui facilite mon travail, c'est de savoir que telle personne est sourde, que telle autre ne parle pas français... Au cours de ces relèves, j'ai fréquemment entendu cette expression : « Monsieur X. va bien, il est calmé... » Ce qui signifie : « Il ne demandera pas de soins cette nuit et n'aura pas de douleurs. » Donc : « Tu seras tranquille. »
Suit le « tour » ou la mise en place du cadre, sur fond de gyrophares et de bruits de voitures. Cette deuxième tâche peut prendre jusqu'à une heure. Passer de chambre en...
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