En 1912, Max Scheler publiait un ouvrage devenu célèbre et traduit en français sous le titre : L’homme du ressentiment 1. Il y montrait que la critique nietzschéenne de la morale chrétienne s’était trompée de cible : sa dénonciation du ressentiment était recevable contre l’humanitarisme abstrait de la philosophie des Lumières ou contre l’égalitarisme communiste, mais elle était sans force contre la morale chrétienne. Toutefois, en restant dans la perspective d’un débat entre morales, ou même entre conceptions du monde, Max Scheler n’allait peut-être pas au fond de la question. Car la foi chrétienne n’est pas d’abord une morale. Elle est une rencontre avec le Christ ressuscité et une existence mise sous la lumière de cette rencontre, ce qui fait de tout chrétien, selon le mot de Claudel, « de son Christ l’image vraie quoique indigne ». Aussi n’avons-nous pas seulement à opposer au déferlement de violence dont l’actualité nous offre le spectacle une éthique de la non-violence ou du respect des droits de l’homme. Nous avons à y opposer Jésus Christ.
Pour la même raison, la foi chrétienne n’est pas d’abord une philosophie, et il ne suffit pas de souligner que des idées chrétiennes, comme celles de l’incarnation ou de la résurrection de la chair, protègent le croyant d’un « idéal ascétique » qui ne serait que mépris du corps, ou que l’amour du prochain le préserve de l’amour abstrait de l’humanité en