Traiter de la médiation dans la Bible entretient l’embarras du choix. De nombreux textes se proposent à l’attention en ce sens dans la Bible hébraïque et grecque comme dans le Nouveau Testament. L’Écriture Sainte elle-même ne se présente-t-elle pas comme un univers de médiation entre Dieu et les humains, hommes et femmes, entre le Seigneur et son peuple Israël en vue de tous les peuples ? Elle tisse les fils polychromes de l’alliance dans la Torah, les Sages et les Prophètes. L’alliance à son tour culmine pour le croyant chrétien en l’unique médiation du Christ, « médiateur d’une alliance nouvelle », en vertu de son « sang purificateur plus éloquent que celui d’Abel » (He 9,16 et 12,24). Le récit du premier fratricide pourrait très bien se prêter à une lecture du jeu des médiations nécessaires pour que triomphe l’amour sur la haine, la vie sur la mort. La Genèse regorge de situations humaines où la bénédiction de Dieu se fraie un chemin tortueux à travers les ruses des humains dans le cycle des patriarches. Les livres historiques servent la même cause en racontant les vicissitudes de la royauté jusqu’à sa disparition avec l’exil. Qu’est-ce que la Sagesse sinon la médiation qui permet à Yhwh, le créateur et le sauveur du monde et de son peuple, d’entrer en relation avec « les enfants d’Adam » (Pr 8,22-31) ?
Le dévolu est jeté sur un texte capital qui en récapitule et en anticipe beaucoup d’autres : le chant du serviteur souffrant en Isaïe (52,13–53,12). Son cadre est constitué des chapitres centraux du plus grand des prophètes et du plus imposant recueil prophétique : le Deuxième Isaïe (40–55), datable en tout et en parties approximativement du retour de l’exil à Babylone (586-537 av. J.-C.).

Mise en situation

Sans autre préambule, ce chant fait parler quelqu’un :
« Vous ne sortirez pas à la hâte ;
vous ne vous en irez pas en fuyards,
c’est Yhwh, en effet, qui marche à votre tête,
et votre arrière-garde, c’est le Dieu d’Israël. (…)
Voici : il resplendira, mon serviteur,
il sera haut placé et surélevé et exalté beaucoup,
ainsi défiguré, on ne le voyait plus en homme,
ainsi il purifiera les nations nombreuses,
à son sujet les rois fermeront leur bouche.
Car ils auront vu ce qu’on ne leur avait pas dit,
appris ce qu’ils n’avaient pas entendu. »
(Is 52,11.12-15)
Avant l’ouverture du chant, le verset 11 rappelle la symbolique de l’Exode : la colonne de nuée, le jour, la colonne de feu, la nuit, pour symboliser la protection du peuple par le Seigneur 1. La théologie de la création prend son essor à partir de l’expérience de mort et de résurrection dans l’exil et le retour d’exil. Si son Dieu sauve Israël du désastre grâce à l’intervention d’un roi païen, non-Juif, Cyrus, il est à la fois le Seigneur d’Israël et des nations, le sauveur et le...
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