Il semblait entendu qu'au sein du monde vivant, l'être humain bénéficiait d'un statut particulier : seul être vivant doté d'un esprit en même temps que d'un corps. Dualisme classique, toujours sujet à débat, mais qui s'est adouci sous l'effet justement de la présence émergente des émotions et des progrès de la biologie. Néanmoins ne serait-ce que dans le projet de ce numéro, on continue à voir les émotions comme un facteur, certes parfois positif, mais dont on se méfie et surtout dont on pense qu'on pourrait arriver à se passer en reprenant la maîtrise grâce au pouvoir de l'esprit. Peut-on encore s'appuyer sur ce dualisme ? On a fait plus de progrès depuis cinquante ans dans la compréhension de ce qu'on peut appeler le « vivant » que dans toute l'histoire de l'Humanité.
Un vivant très paradoxal
Si on ne connaît pas le pourquoi de la vie, on commence à en connaître le comment. La vie est une dynamique permanente, un changement constant, orienté vers la transmission et non vers la mort. C'est ce que nous montrent les progrès des connaissances sur la biologie du vivant, tels que les expose, entre autres, Antonio Damasio1. La vie naît avec l'individuation de la première cellule qui ne peut exister que sous la contrainte permanente des échanges avec le milieu environnant, par l'intermédiaire du jeu incessant des circuits appétitifs et aversifs2, d'emblée régi par des logiques contradictoires. Pour que la cellule survive et se multiplie, il faut que sa frontière, la membrane qui la sépare du monde externe, soit suffisamment résistante pour ne pas se dilacérer et suffisamment souple pour que les échanges permanents avec l'environnement soient possibles.
Mais qu'entend-on par émotions3 ? J'en retiens une conception large qui s'applique à tout ce qui sollicite les circuits appétitifs et aversifs du cerveau avec tous les multiples ressentis qu'ils engendrent mais qui se regroupent autour de ces deux acteurs fondamentaux à la fois de nos éprouvés internes et des réactions qu'ils génèrent, essentiellement la peur et la