Le Temps est à rude épreuve dans le monde ; il semble même qu'en raison de ce qu'il est convenu d'appeler le progrès, il doive l'être toujours davantage à l'avenir. Dans les vieilles demeures rurales d'autrefois, même les plus simples, les plus pauvres, il y avait une horloge dont le balancier allait, aussi tranquille que le pas des bœufs, comme un nombre d'or que la mort des êtres chers, seule, arrêtait. Dans ce meuble de la vie quotidienne, on entendait palpiter les intestins du Temps. Peut-être n'entendait-on que cela de tout le jour et, tout doucement, plus profond, plus loin que l'ennui, les êtres s'intériorisaient. On entendait et on attendait. « Priez pour nous, maintenant et à l'heure de notre mort. Amen. »
Aujourd'hui, on fait mille injures au Temps : on lui court après, on le tue, on l'annule, on le perd sans même plus savoir — ô ironie — à quoi on l'a perdu. Et pour finir on l'accuse comme un conditionnement intolérable, une fatalité dont il faut absolument s'affranchir, comme si les paradis factices pouvaient remplacer le paradis réel que le Temps nous ouvre, si nous savons, avec une sorte d'émerveillement, perdre notre temps au Temps lui-même.
PETITE HISTOIRE DU TEMPS
Qu'avons-nous fait du Temps ? Car c'était beau Temps, c'était bon Temps que Dieu nous avait créé dès l'origine, en créant le monde en lui et avec lui. Le Temps, oui, le Temps lui-même a une histoire... Retraçons-la, repassons-la.
Le Rendez-vous
La première page de la Bible nous donne à apercevoir le cours supérieur du Temps, comme d'une eau transparente dont l'homme n'avait pas fait encore l'égout de ses soucis ni de ses calculs. À vrai dire, le grand Œuvre de Genèse n'installe encore que les tréteaux du Temps ; en donnant l'impulsion première au balancier du soir et du matin, au rythme cardiaque du jour et de la nuit, en suspendant le soleil, la lune et les étoiles aux branches de l'arbre cosmique, Dieu, tel un enfant comptant sa Vie en années-Lumière, confectionne un manège, un mobile complexe dans lequel danseront à l'aise