Pourquoi pas ? Cependant, on entend aussi dans les Chants et Psaumes d'automne, le thrène lugubre de l'Office pour l'enfant mort ; des Chants de la Merci, l'inexorable détresse ; enfin, le ressassement de la douleur qui monte des Chants d'arrière-saison. Poète de la joie, oui, mais de quelle joie ? De cette gaîté mièvre dont on aura affublé cette âme lucide et implacable, ainsi défigurée en paroissienne bien-pensante et poète de patronage ? Certes non ! La joie noëlienne, fragile et déchirée, je la vois si proche, presque cousine, de la joie franciscaine. S'en étonnera-t-on quand on sait les affinités de Marie Noël avec le « petit pauvre d'Assise, si joyeux, si franc, si libre », puisque l'un et l'autre ont traversé « la grande nuit où personne ne guide personne » ?
Revient en mémoire l'épisode fameux où François, instruisant Frère Léon de ce qu'est la joie parfaite, passe en revue toutes les satisfactions que procurent la vanité et la gloriole humaine — et Marie Noël le suit sans peine, elle qui considère la renommée comme « mensonge qui s'étend » 4—, puis imagine que, « par une nuit profonde » d'un « hiver boueux et froid », il se voit refuser l'hospitalité par un frère incommode qui l'insulte et le chasse sans ménagement : « Je te dis que si je garde patience et ne suis pas ébranlé, en cela est la vraie joie et la vraie vertu et le salut de l'âme » 5.
La joie parfaite
Joie singulière que cette « joie parfaite », puisqu'elle scelle l'étonnante alliance de l'humiliation de l'être et de la joie absolue. Or la joie, à en croire Spinoza, serait « le passage de l'homme d'une moindre à une plus grande perfection » 6, autrement dit, déploiement de l'expérience de soi dans la « jouissance heureuse de l'être » ; à ce titre, elle n'est pas seulement expérience « dense, durable, cohérente et intense », elle est « acte substantiel »7, récusant donc toute passivité.
On mesure l'écart entre la conception spinoziste et le retournement franciscain, car, à la jointure de cette articulation paradoxale, de cette métanoïa chrétienne ouvrant à la perfection de la joie, il y a la patience, l'art de la persévérance souveraine à pâtir, à subi...
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