DANIEL CASADEBAIG Longtemps professeur de lettres et chef d’établissement, vit à Bordeaux. Dernier article paru dans Christus : « Libres propos sur la relecture » (n° 230HS, mai 2011).

Marie, la libraire d’Un adolescent d’autrefois 1, lance au jeune héros timide qui l’invite à dîner dans un restaurant des quais et qui n’ose annuler le dîner qu’il a commandé le matin même à son maître d’hôtel : « Vous n’avez pas honte ? », et ce dernier répond : « Oui, j’ai honte. Maman me répète : si intelligent que tu te croies, tu n’es qu’un pauvre être. – Il était temps que je vienne », conclut (provisoirement) Marie. Au rebours de ces deux personnages de Mauriac, plus proche de nous, l’acteur Jamel Debbouze, évoquant son enfance dans une cité difficile, se rappelle les propos de son grand-père : « Dieu est dans le coeur des hommes, fais-en ce que tu veux. Il faut juste que tu sois fier de toi. » Dans Au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable 2, Romain Gary nous propose ce dialogue entre les deux personnages princi­paux : « Le plus grand effort culturel du siècle, que ce soit Marx ou Freud, fut en faveur des prises de conscience : nous avons désappris à nous ignorer. Au détriment du bonheur, qui est pour une grande part paix de l’esprit et qui fait toujours l’autruche… », dit l’homme. Ce à quoi répond son interlocutrice : « On dirait toujours que tu t’en veux secrètement, que tu te déçois… que… tu manques d’amitié pour toi-même, voilà. Il faut être tolérant avec toi. » L’homme lui avouera un peu plus loin dans le livre : « Tu sais, je ne plaisantais pas du tout, quand je te disais que j’ai tout le temps peur. Le bonheur est toujours un peu coupable. »
Enfin, difficile ici de résister à évoquer ce dessin du New Yorker : un poussin vient de briser l’oeuf qui l’entourait et a l’air tout étonné, au milieu des brisures de coquille, d’être appelé ainsi à la vie. Une poule, hautaine mais plutôt sympa, le toise, lui faisant les gros yeux et lâche : « Non mais, regarde ce que tu as fait ! » Cela n’a échappé à personne : l’estime de soi n’est pas livrée à la naissance comme un élément constitutif du petit d’homme. De même, il est clair que ce n’est pas non plus un objectif ou une fin en soi qui suffit à remplir un coeur d’homme (ça se saurait). Cela participe sans doute d’une construction lente et fébrile de l’indi­vidu, et dépend de l’environnement, de la culture et, bien sûr, de l’éducation. En tout cas, l’estime de soi n’a de sens que si elle reste un moyen ; sinon, elle est nue et stérile. Enfin, si l’estime de soi s’inscrit dans la croissance de la personne, il est évident que ce n’est pas à n’importe quel prix.
 

De la capacité à digérer les appréciations
 

Chacun a en m...

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