Cheyne, 2002, 103 p., 15,5 €.

Jean-Pierre Lemaire nous offre ici son livre de poèmes le plus personnel, le plus secret, peut-être le plus beau. Alors que ses précédents recueils étaient dominés par de longues descriptions de paysages et des méditations bibliques, celui-ci nous plonge d'abord au cœur de la douleur éprouvée à la mort de son père. Le travail de deuil nous est livré sans fards. Les vers, tour à tour saccadés et lyriques, épousent admirablement les différents cycles de profonds désespoirs et de souffrances, exorcisés quelquefois par des souvenirs d'enfance. Face au désastre, face à la perte du père qui est aussi la perte de tout un monde, face au sentiment d'avoir perdu une partie de sa propre identité, le poète ne peut que se tourner vers le Père : « ... il me remodèle / à sa ressemblance qui n'est plus la tienne. » En même temps, un malheur n'arrivant jamais seul, un accident contraint l'auteur à boiter, à voir le monde de façon oblique, humiliante.
C'est alors qu'apparaît la figure de Noé, à travers de magnifiques compositions de lieu, qui aide précisément le poète à recomposer le monde, à lentement retrouver la terre ferme, l'esprit clair. Après nous avoir fait passer par les pires doutes, la glace des sentiments, il nous fait vivre une discrète résurrection, de celles qu'ont pu vivre « les premiers hommes / surgis des sillons après le Déluge, / triant pas à pas / l'héritage étalé sur toute la terre »... L'intérieur du monde n'a pu être redécouvert, une fois surmontés le deuil et les effets de la boiterie, qu'au prix d'une expérience de conversion, d'un regard renouvelé sur le douloureux visage du prochain et le visage des morts qui nous accompagnent dans une mystérieuse communion.