Zurfluh, coll. « Les romans d’Auguste », 2008, 155 p., 10 euros.

Sous ce titre énigmatique se cache un ouvrage dédié à Guillaume de Machaut (1300-1377), chanoine de Reims, qui révolutionna les arts poétique et musical, jusqu’à en établir de nouvelles règles. Par là même, il fut le premier à proposer une synthèse esthétique entre l’amour mystique et l’amour courtois, et à jeter de multiples ponts entre eux.
Dans une langue magnifique, Claude-Henry du Bord, poète lui-même et li­brettise d’opéra, réussit le tour de force d’écrire un autoportrait de Machaut, pour mieux nous faire sentir de l’intérieur ce qu’amour voulait dire pour les hommes de la fin du Moyen Âge : « Cet amour hautement spirituel muselle en nous le barbare, le sauvage, l’incontrôlé ; sa forme s’exalte par le poème […] [qui] permet à l’âme de s’élever jusqu’à la sphère sublime de l’idée et rejoindre l’amour de Dieu. »
Machaut est ici surpris au soir de sa vie, à l’heure des bilans qu’il résume lui-même ainsi : « Non, je n’avais pas choisi d’être poète, je l’étais grâce à des dons de nature ; non, je n’avais pas choisi d’être chanoine, j’aspirais seulement à trouver des conditions favorables à mon désir d’écrire (et d’être connu). […] Je n’avais pas davantage choisi de tomber amoureux… » Ce constat fataliste fait choc par rapport à l’idéal exposé plus haut, mais il nous rend Machaut plus proche. En effet, ce grand esprit, marqué par saint Bernard et le logicien Guillaume d’Occam, brûla d’amour dans sa vieillesse pour une jeune femme qui l’admirait mais l’aima peu en retour. L’extrême pathétique de la situation, que Machaut raconta lui-même en vers dans l’admirable Livre du Voir Dit, fut la dernière épreuve de son existence sans doute trop bien installée.
Paradoxalement, la dépression qui s’ensuivit lui fit redécouvrir la force symbolique du monde : « La beauté est la parole muette qui sort de la bouche de Dieu. » C’est ainsi qu’il consacra ses dernières force à l’amour mystique à travers ce qui demeure son chef-d’oeuvre musical, la Messe de Notre-Dame, dont les audaces et l’émotion contenue influencèrent jusqu’à de grands compositeurs contemporains comme Stravinsky ou Arvo Pärt.