Il n'y a qu'un seul temps : le présent. Le passé n'est plus et le futur n'est pas encore ; ils ne peuvent être saisis, vécus, ils ne peuvent être que dans la mémoire ou dans l'attente, c'est-à-dire au présent et pour une conscience. Seule la présence du présent — la présence au présent — donne réalité à la totalité du temps et consistance au flux du devenir. Approfondissant les paradoxes de la condition temporelle de l'homme, saint Augustin, au livre XI des Confessions, vient convertir notre appréhension du temps en nous découvrant le privilège insigne du présent.
Et pourtant : « Que chacun examine ses pensées, écrit Pascal, il les trouvera toutes occupées au passé et à l'avenir. Nous ne pensons presque point au présent » 1. Incapables de nous « tenir au temps présent », nous sommes accaparés par un passé qui nous retient et par un avenir que nous anticipons constamment, comme si nous brûlions d'être où nous ne sommes pas. Car si le présent est bien le point de tangence de l'être et du temps, il est aussi cette tête d'épingle, ce fil de rasoir tranchant où nous ne pouvons pas nous installer ; il manque à l'instant présent la durée qui permettrait de l'habiter afin de rencontrer l'être véritable. Seul le présent est, mais il passe !
On comprend mieux, dès lors, pourquoi, de fait, nous sommes inattentifs au présent : il est tellement étroit, invisible, coincé entre ces deux grandes masses que notre imagination nous figure. Mais on voit aussi que c'est précisément pour cela qu'il faut lui accorder notre attention, elle seule pouvant lui conférer toute son importance et comme le dilater pour lui donner consistance et étire.
L'époque vient radicaliser encore cette contradiction : l'homme moderne semble bien être tout à la fois celui qui ne s'intéresse qu'au présent, inattentif au temps long, et cet homme pressé que décrit Baudelaire : « Il va, il court, il cherche » 2, incapable de s'arrêter pour donner du temps à la présence et offrir sa présence au présent. Sa précipitation et son affairement même trouvent sans doute dans l'anxiété leur moteur secret : il s'agit pour lui de ne pas laisser passer le présent, de vivre dans l'instant pour ne pas perdre un seul fragment du temps. Contradiction d'une quête qui, pour étreindre l'être et vivre le présent, manque la présence et se perd dans l'éclatement !
Car chacun semble aujourd'hui pouvoir se reconnaître dans cette tâche, voire ce devoir, d'être attentif au présent. Et pourtant, derrière une même expression, pourrait bien se dessiner une ligne de fracture décisive qui tient à la façon de se rapporter au temps et, par là, au sens à donner à l'existence humaine. Il s'agirait alors de retrouver la signification de ce qui, dans la philosophie d'un Kierkegaard, renvoie à l'engagement de la liberté dans l'alternative de l'« ou bien... ou bien ».
Ou bien, en effet, l'attention au présent se conçoit comme exigence de vivre ce qui ne reviendra jamais plus, comme l'affirmation de l'homme contre une temporalité qui fait tout retomber en poussière. Etre attentif à l'instant qui passe, c'est ici en saisir la radicale nouveauté : le vivre suppose alors de rompre avec le passé et de se détacher de la considération de l'avenir. Multiplier les instants, les vivre intensément, serait la seule façon d'être heureux pour un animal qui sait qu'il va mourir.
Ou bien — et c'est un tout autre mouvement — il s'agit de s'ouvrir à un présent qui est expérience de l'être comme présence qui demeure. L'attention au présent, loin de conduire à multiplier les instants, se vit alors comme exigence d'unification : unification de soi dans l'intériorité, ouverture à ce qui ne passe pas, discernement dans l'aujourd'hui de ma liberté de ce qui fonde mon être, intégration du passé, du présent et de l'avenir dans une histoire orientée, fidélité à ce que j'ai choisi, afin, contre l'éparpillement, de donner sens au temps.

Face à l'inquiétude, le refus du temps


En première approche, l'attention au présent trouve son sens et sa justification dans la prise de conscience de ce qu'est la temporalité pour l'homme. Toute méditation sur ce qu'est le temps expose en effet à la mélancolie et à l'inquiétude. Car « le propre du temps, c'est de nous devenir sensible moins par le don nouveau que chaque instant nous apporte que par la privation de ce que nous pensions posséder et que chaque instant nous retire » 3. Irréversibilité des instants ne surgissant que pour disparaître, impossibilité de garder ce qui se donne comme un flux, arrachement à la présence, irréductible précarité d'une existence située entre deux néants, tous ces caractères alimentent la plainte des poètes et viennent contredire l'aspiration à l'être.
Devant cette réalité tragique, on comprend que puisse naître, plus ou moins confusément, le désir de rejoindre cette heureuse vie dans l'immédiat, délivrée du souci, qui nous semble le privilège des enfants, voire des êtres sans pensée : « Observe le troupeau qui paît sous tes yeux : il ne sait ni ce qu'est hier ni aujourd'hui, il gambade, broute, se repose, digère, gambade à nouveau, et ainsi du matin au soir et jour après jour, étroitement attaché par son plaisir et son déplaisir au piquet de l'instant, et ne connaissant pour cette raison ni mélancolie ni dégoût ! » 4. Délivré du souci de l'avenir comme du regret du passé, tout entier donné à l'instant qui, détaché de toute durée, m'apparaîtrait sans cesse nouveau, ne serais-je pas alors débarrassé du déchirement comme de l'ennui ou du sentiment de vacuité ?
Mais l'on voit aussitôt ce qu'a d'illusoire, voire de contradictoire, une telle aspiration : le bonheur d'exister ici paraît supposer l'abolition de la conscience et le refus de toute réflexivité ; comme si la pensée devenait l'obstacle même à surmonter pour vivre le présent et qu'en supprimant la conscience on ne supprimait pas du même coup le sujet capable de goûter le présent !
Comment surmonter cette contradiction ? Est-il possible de penser un chemin qui permettrait de sortir de l'inquiétude produite par la conscience du temps en ouvrant une vie de plénitude et de bonheur ? La philosophie épicurienne dessine les contours de ce que peut représenter un refus organisé du temps qui permettrait d'accéder au sens vrai de l'éthique et au bonheur. Etre heureux passe par la suppression de notre croyance au temps, par la prise de conscience que cette temporalité qui nous inquiète est issue de nos propres représentations et fruit de notre ignorance. L'homme soumis au jeu de son imagination et à l'agitation de ses passions se projette sans cesse dans la double direction d'un passé qu'il regrette ou d'un futur qu'il espère ou redoute. Au coeur de cette anxiété se profile la peur de la mort qui nous retire la possibilité de jouir du seul temps qui est nôtre : le présent. Du coup, la sagesse passe par l'élaboration d'une physique qui nous fait découvrir que le temps n'est rien et que, dans la nature, il n'y a que des atomes et du vide. le suis alors renvoyé à ce qui seul est, à ce qui est présent. Et si le présent nous semble vide ou évanescent, cela ne peut donc pas tenir à un défaut d'être qui viendrait de lui mais à un manque d'attention qui vient de nous : nous lui manquons, nous lui faisons défaut.
On le voit, l'instant qu'il s'agit de cueillir (« carpe diem », écrit Horace) est ce présent hors du temps construit pour supprimer le temps, pour vivre sans inquiétude. Etre attentif au présent, c'est devenir capable de condenser la durée pour sortir du double malheur de l'écartèlement (attendre ou regretter sépare de ce qu'on vise) et de la succession (chaque moment se trouve annulé par celui qui le remplace). Donner corps à l'instant qui fuit, saturer de joie le présent, tel est l'impératif pour celui qui veut accéder à la plénitude ici et maintenant.

La trace d'un manque d'être


Une telle attention au présent vise donc à détruire la douleur en supprimant la conscience du temps. Vivre dans l'instant consiste à refuser d'organiser le temps en l'intégrant dans une durée, les instants devenant « détachables » comme les pétales d'une rose toujours fraîche. On ne peut même pas parler ici d'instants successifs qu'il conviendrait de multiplier, puisque c'est dans la condensation de l'instant, tout « avant » et tout « après » écartés, qu'est garantie la coïncidence avec l'eue ; l'homme peut accéder à un plaisir pur, non mêlé de crainte ou d'anxiété. L'accès au bonheur suppose donc de sortir d'une représentation fausse et déchirante qui verrait l'existence dépliée dans l'extension temporelle pour découvrir le bonheur dans l'intensification de la présence, dans le détachement. Une étude des représentations dominantes de l'homme contemporain, attentive notamment à ce qui se joue dans l'image publicitaire, découvrirait sans doute combien sont présentes ces façons de se rapporter au temps et au bonheur.
Et pourtant, comment ne pas s'apercevoir du caractère fragile et unilatéral de ce refuge ? Car cet instant dans lequel je suis invité à m'installer est une immédiateté emportée par le temps. Si le sage ou le poète m'appellent à goûter, à déguster le moment présent, n'est-ce pas précisément parce qu'ils sont convaincus de son évanescence ? Ainsi, ce qui se présente comme une invitation au bonheur (seul le présent existe : le temps n'est rien) est porté par une inquiétude non pas supprimée mais seulement recouverte (le temps détruit : l'instant est emporté). Le professeur, dans le film Le cercle des poètes disparus, ne fait entendre le carpe diem qu'en faisant émerger l'angoisse de la mort et la certitude d'un avenir débouchant sur la fin... Dès lors, une telle façon de nous rendre attentifs au présent ne supprime pas le déchirement propre à la condition temporelle mais, tout au contraire, en révèle la profondeur.
Car la compréhension de la relation de l'homme au temps suppose qu'on creuse jusqu'à la racine de cette inquiétude qui nous saisit face à la temporalité et nous empêche de vivre la présence. Pourquoi l'homme éprouve-t-il tant de difficultés à se tenir dans le moment présent ? Et pourquoi l'invitation à s'installer dans l'instant trahit-elle ce déchirement de la conscience plus qu'elle ne parvient à nous réconcilier avec le présent ? Pascal révèle l'insuffisance des arts de vivre et des philosophies :

« Ennui. — Rien n'est si insupportable à l'homme que d'être dans un plein repos, sans passion, sans affaire, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent il sortira du fond de son âme l'ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le désespoir » 5.

Si l'homme ne peut se tenir dans la présence à soi-même, s'il se projette vers les temps où il n'est pas, s'il se divertit en s'ouvrant à des espaces dans lesquels il s'oublie ou se perd, c'est parce qu'il ne peut vivre sa condition que comme insuffisante, marquée par le manque et le néant. L'inviter à se concentrer sur le présent serait le plonger dans l'ennui en lui faisant ressentir son moindre être. Puisqu'il ne peut vivre son rapport au temps que comme une séparation d'avec l'être auquel il aspire sans pouvoir se le donner, il est illusoire de l'inviter à goûter ce qui précisément lui fait défaut. Ainsi, l'existence temporelle ne peut qu'être contradictoire, déchirée entre le désir de se fuir en s'éparpillant dans la poussière des instants et l'aspiration à un bonheur qu'elle pressent sans pouvoir le vivre mais qui rend ces instants dérisoires : une entrée dans la présence et la plénitude

Donner sens au temps


Tant que l'homme ne sera pas réconcilié avec lui-même, tant que son insuffisance ontologique ne sera pas guérie, toute exhortation à demeurer dans le présent ne pourra que rester vaine en revivifiant la nostalgie inquiète d'une plénitude qu'enlève le temps :

« Tu nous as faits tournés vers toi, Et notre coeur est sans repos Jusqu'à tant qu'il repose en toi » 6.

Ainsi, seul un mouvement radicalement inverse permettra d'accéder au présent. Il s'agit non pas de s'oublier afin d'extraire tout le suc des instants qui nous sont donnés et qui passeront mais de rendre possible une véritable présence à soi en se faisant intériorité : le déchirement auquel nous expose la temporalité nous appelle non à cueillir anxieusement les moments fragiles mais à nous recueillir pour entrer dans la paix et consentir à l'être.
Dès lors, le centre de gravité de l'expression « attention au présent » se situe dans le premier terme, car il importe, contre la distraction, l'agitation ou l'insouciance, de devenir attentif, disponible, de se faire capacité d'accueil. Et cette attention ne va pas de soi. Elle suppose, comme l'a montré Simone Weil 7 tout un apprentissage qui, par étapes, est l'école même de l'âme et de la prière authentique. Elle se forme dans l'étude et trouve son sommet dans l'union mystique : « La formation de la faculté d'attention est le but véritable et presque l'unique intérêt des études. » Car cette faculté est bien plus que ce qui rend possible la concentration de l'esprit et l'éveil de l'intelligence : elle n'est pas autre chose que l'accès à soi par la présence à ce qui est (un grand texte, un problème mathématique, un modèle à dessiner, etc.). Elle forge et le désir d'atteindre et la capacité de goûter ce qui est parfaitement présent parce que totalement être. L'attention n'est-elle pas cette grâce à laquelle nous nous ouvrons dans le Pater et qui rend la présence quotidienne jusqu'à la fin des temps ? C'est ainsi que Simone Weil commente la demande « Noue pain, celui qui est surnaturel, donne-le-nous aujourd'hui » :

« Le Christ est notre pain. Nous ne pouvons le demander que pour maintenant. Car il est toujours là, à la porte de notre âme, qui veut entrer, mais il ne viole pas le consentement. Si nous consentons à ce qu'il entre, il entre ; dès que nous ne voulons plus, aussitôt il s'en va (...) Notre consentement à sa présence est la même chose que sa présence. Le consentement est un acte, il ne peut être qu'actuel » 8.

Si l'attention ainsi comprise peut seule réconcilier avec soi-même et avec le temps, c'est parce que l'âme y découvre la capacité de donner de l'extension à la durée et de la consistance à ce qui paraît fuir. Ainsi, paradoxalement, le mouvement même par lequel l'âme semble se concentrer tout entière sur l'être présent, jusqu'à se réduire à une fine pointe, est aussi celui par lequel elle se dilate au maximum jusqu'à devenir présente à l'être total. Augustin montre que le temps authentique n'est rien d'autre que cette « élasticité » de l'âme (« distensio animi ») qui permet la « co-présence » des dimensions temporelles dans l'intériorité. Alors que je pouvais croire que le passé n'était plus et que le futur n'était pas encore, dans l'attention, je saisis la présence même du passé comme mémoire vivante que je suis et la présence de l'avenir comme attente.
L'attention me fait découvrir mon pouvoir de surmonter le temps qui n'est alors plus éparpillement. A l'image du chanteur attentif et concentré qui tient en lui-même toute l'unité continue du chant à mesure que la mélodie se déploie, l'homme n'est unifié qu'autant qu'il donne sens à son histoire en intégrant tous ses moments. Du coup, la puissance distractive du temps se trouve comme convertie, élevée au sens.

Demeurer dans la présence


Ainsi, l'attention au présent prend toute sa signification quand, au-delà des tentations du carpe diem, elle se comprend comme appel à se rassembler en soi-même pour faire croître en soi cet homme intérieur capable de goûter la présence et de se tenir dans le présent. Car, ici aussi, « ce n'est pas d'en savoir beaucoup qui satisfait et rassasie l'âme, mais de sentir et goûter les choses intérieurement » (Ex. sp. 2). N'en concluons pas hâtivement qu'il faudrait restreindre sa propre existence et sacrifier ce que nous devons au monde, aux événements, aux autres. Tout au contraire, l'attention au présent consiste à convertir en joie cette inquiétude qui tient à notre situation temporelle et qui nous conduit à nous éparpiller. Et cette joie seule peut nous ouvrir au sens vrai de tout ce qui est en suscitant notre dynamisme. Cela suppose la découverte de la joie de résider dans la présence et d'y avoir sa demeure.
Car l'attention n'est jamais mouvement de fermeture sur soi mais, au contraire, expérience d'une radicale ouverture à tout ce qui est. L'unique et même capacité d'accueil que fait croître l'attention — autre nom de l'amour — se déploie en effet en disponibilité : « Ce n'est pas seulement l'amour de Dieu qui a pour substance l'attention. L'amour du prochain, dont nous savons que c'est le même amour, est fait de la même substance. Les malheureux n'ont pas besoin d'autre chose en ce monde que d'attention » 9.
Eue attentif au présent peut devenir la tâche même de l'homme, modeste et grandiose à la fois, cette tâche qui incombe à tous et à chacun. Cela commence sans doute par la gratitude, par l'acte d'entrer dans la reconnaissance face à la présence : joie d'être vivant, joie qu'un temps — si court fut-il — nous soit donné ; joie que, malgré le fait que rien ne me soit dû, quelque chose, quelqu'un, me soit offert : un monde, mon corps, mes mains, mon prochain, Dieu même !... Et cette conscience m'ouvre à la gravité : comment me rendre présent à ces présences ? Ferai-je défaut ? Tout présent est alors appel à la responsabilité. Car l'attention au présent est tension vers un avenir. Elle suppose de se rendre attentif à tout ce qui, dans le réel (le sens qui y affleure, le mal ou l'injustice qui y défigure l'être), réclame ma conscience, ma prière, mon action : « Quand vous voyez un nuage monter au couchant, vous dites aussitôt qu'il va pleuvoir, et c'est ce qui arrive (...) Esprits faux ! L'aspect de la terre et du ciel, vous savez le juger ; mais le temps où nous sommes, pourquoi ne savez-vous pas le juger ? » (Le 12,54.56). Si l'attention au présent est joie de l'être et joie d'être, elle est aussi épreuve de l'existant : le présent est lieu de jugement. C'est ici et maintenant que se décide ma liberté. Répondre présent au présent, répondre du présent dans la fidélité, accepter le renouvellement permanent que la fidélité implique pour que demeure ce que j'ai choisi, consentir au présent, dans la joie comme dans l'épreuve, c'est, à même le temps, entrer dans un temps qui ne passera jamais, celui de l'amour.



1. Pensées, 172 (Brunschvicg)
2. « Le peintre de la vie moderne », in Curiosités esthétiques
3. Louis Lavelle, Du temps et de l'éternité, Aubier-Montaigne, 1945, p 126
4. Nietzsche, Considérations inactuelles H, Gallimard, 1990, p 95
5. Pensées, 131.
6. Confessions 1,1, Gallimard, 1998, p. 781
7. Les pages bouleversantes qu'elle a consacrées à l'attention se trouvent dans un court texte, repris dans Attente de Dieu (La Colombe, 1950) « Réflexions sur le bon usage des études scolaires en vue de l'amour de Dieu » Ce titre à lui seul ouvre d'immenses perspectives, notamment pour l'éducation
8. « A propos du Pater », op. cil, p. 216
9. S. Weil, Attente de Dieu, p. 122