Sculpteur, longtemps enseignant de l’histoire de l’art au Centre Sèvres, le P. Jean-Marie Tézé nous a quittés au début de l’été.
Chacun de ses articles publiés dans Christus, de 1962 à 2005, a été salué comme un événement, tant son regard était puissant et indifférent aux modes. Nous avons voulu lui rendre hommage en reproduisant un entretien publié dans notre revue (n° 181, janvier 1999), où se déploient à la fois sa vision personnelle de l’art et ses dons pédagogiques, qui ont marqué plusieurs générations au Centre Sèvres.
 
Christus : L’image, dit-on, reflète l’imaginaire d’une société. En quoi l’art peut-il aider à le comprendre ?
Jean-Marie Tézé : Les artistes ou les poètes ne sont pas des voyants ou des prophètes qui auraient reçu le don mystérieux de prédire l’avenir, ainsi que l’a prétendu toute une littérature romantique. « L’artiste n’augure pas l’avenir – dit fort bien, à la manière d’une devise, Alain Roger –, il l’inaugure. » Il l’inaugure, c’est-à-dire qu’il commence à mettre en oeuvre le regard, l’écoute et toute une manière de sentir et d’appréhender le monde d’une époque. « L’art est un miroir qui avance, comme une montre parfois » (Kafka). L’artiste (qu’on pense à Monet, à Van Gogh, à Cézanne) est celui qui incite ses contemporains – et cela prend souvent du temps – à voir autrement, à informer, au sens le plus fort du mot, le futur. À propos de l’oeuvre d’art, le philosophe Heidegger parle très justement d’« emprise », c’est-à-dire d’« une avance dans laquelle tout à venir, encore que voilé, se trouve déjà devancé ».

L’ère de la non-figuration

Christus : Comment la peinture instaure-t-elle une vision nouvelle au tournant du XXe siècle ?

J.-M. Tézé : Je dirais d’abord par le « sensorialisme », pour ne pas avoir à dire « sensualisme » qui a toujours une