Depuis 1981, date de sa première publication poétique, Jean-Pierre Lemaire (collaborateur régulier de Christus) a publié neuf recueils, très tôt suivis par de fidèles lecteurs et abondamment commentés. Cette anthologie personnelle permet de considérer le chemin parcouru, comme après un long pèlerinage. Les poèmes ici sélectionnés, en effet, attestent tous d'événements qui ont balisé l'existence du poète. Depuis la découverte des créatures merveilleuses de l'enfance dans la nature jusqu'à celle de la voix de Marie qui s'est comme imposée à lui pour exprimer ses joies et ses doutes, ses douleurs, à propos de son Fils.

La spécificité de Jean-Pierre Lemaire tient à son approche des multiples événements que la vie nous réserve. Il n'est pas de ceux qui les abordent frontalement, laissant le lecteur devant leur énigme, ou leur gouffre. Cette approche est toujours charitable, car l'auteur sait qu'il répond à un appel, à une vocation qui le dépasse infiniment sans pour autant l'écraser. Le lecteur peut alors se reposer sur la foi de ce témoin qui s'efface jusque dans son langage, deux réalités qui tendent à en faire une seule : celle qui nous entoure et celle qui entourait Jésus Christ. Va-et-vient entre prise de conscience de la Révélation et tentatives d'être en adéquation avec ce qu'elle implique, ce que le poète appelle les « deux royaumes ».

On le voit à l'ascèse que Jean-Pierre Lemaire impose à ses vers. Sa méfiance vis-à-vis de tout formalisme, au nom duquel le poème se suffirait à lui-même à l'instant où il est écrit, en faisant du sujet (s'il y en a) un pur instrument pour faire vibrer l'écriture, comme si la parole était hors sol. Une telle pratique pour lui tout aussi aberrante, voire choquante, qu'une prière qui serait à elle-même son propre objet, ou qu'une parole d'Évangile qui ne renverrait à rien d'humain : naissance, vie, mort. Il sait trop que sa parole est précédée par une autre.

Un poème sans titre (p. 126) le montre avec force : sur les huit vers qui le composent, sept décrivent des situations contingentes (scènes de rue avec chien et voitures, tableaux avec arbres et balai) dans un endroit apparemment quelconque. Puis vient ce dernier vers : « Matin de Pâques. » Ainsi, la mention de la Résurrection n'abolit pas l'espace et le temps où nous vivons, elle ne les magnifie pas non plus : elle leur donne au contraire leur juste mesure, malgré leur banalité, leur monotonie. Cet espace et ce temps sont aussi des créations accomplies de Dieu. Il est facile de s'en convaincre à la contemplation des beaux et grands espaces (mer, montagne…) ; plus difficile est de s'en émerveiller dans la grisaille matinale en milieu urbain…

Or, c'est le lieu par excellence où Dieu nous appelle, comme Jean-Pierre Lemaire l'exprime également dans cette sorte de colloque intérieur intitulé : L'armoire aux tempêtes. Un homme s'entretient avec celui qu'il fut au commencement, aventurier au grand large et sachant repérer le visage du Christ sans le chercher, jusqu'en pleine tempête. Devenu sédentaire, il éprouve la nostalgie de cette époque. Tout son mal-être réside dans son incapacité à entrevoir « pas loin d'ici » les moments de grâce, en particulier auprès de sa femme et des déshérités, qui ouvrent à autant de recommencements.