Le directeur du palais des Beaux-Arts de Lille, Alain Tapié, a l'art des formules. Lorsqu'il présente l’œuvre de Rubens exposée au musée en ce printemps 2004, il la dit « en compagnie de Jésus » 1. Formule heureuse en sa polysémie, que nous lui empruntons ici. Car si l'auteur en use pour définir l'intimité spirituelle dans laquelle baigne l'iconographie des œuvres du grand peintre baroque, elle lui permet de façon subtile d'en désigner la source : la spiritualité des jésuites avec laquelle Rubens fut en contact depuis son enfance. Or, d'une certaine manière, Tapié l'avait déjà introduite en intitulant une exposition au musée des Beaux-Arts de Caen dont il était alors directeur : « Baroque, vision jésuite, du Tintoret à Rubens » 2.
A la nuance près, et d'importance, qu'elle y cultivait l'équivoque. Apposée au baroque en général, s'applique-t-elle à la période traditionnellement déterminée par l'histoire de l'art (fin du XVIe siècle, jusque vers 1760, un peu plus tard selon les pays) ou au baroque au sens de goût pictural, de répertoires iconographiques, de politique architecturale ? Et puis, la « vision » de qui ? Des artistes du XVIIe siècle ? Des jésuites de l'époque, de leurs commanditaires, leurs théologiens, leurs missionnaires 7 Ou encore vision du public d'aujourd'hui, des historiens de l'art et de l'Église ? Autrement dit, l'expression est-elle à prendre en amont ou en aval ? Les essais érudits qui accompagnent l'exposition et tentent d'en approcher la complexité révèlent que l'ambiguïté n'est pas nécessairement a lever l'art y puise sa richesse En effet, l’œuvre d'art « mené sa vie », elle attire des regards variés sur elle, à son gré, et selon les époques et les lieux. Elle résiste aux classifications et jugements décisifs. Après un long décri, l'art baroque est aujourd'hui mis au pinacle L'ouvrage collectif L'art des jésuites (Menges, 2003), publie au même moment sous la direction du père jésuite Giovanni Sale 3, complétera cette vision, mais cette fois c'est l'art qui reste question ouverte.
Nous espérons ne pas décevoir l'un ou l'autre lecteur en ne nous attachant donc ni a l'art baroque en lui-même, en tant que style défini en histoire de l'art, ni aux œuvres des jésuites — il y en a eu et de magnifiques, a Rome, en Europe occidentale et centrale, en Amérique latine, en Orient architectures, sculptures, peintures, manuscrits Commandes ou œuvres d'artistes jésuites, elles sont de facto des visions et de l'art jésuite. Ce qui nous intéresse, ce sont ces expressions dans