Au cours d'une émission de radio, Jacques Lebreton racontait qu'un jeune lui demanda un jour quelle était la place de la souffrance dans le plan de Dieu. Il répondit n'en rien pouvoir expliquer, mais ajouta : « Il m'a fallu devenir aveugle et sans mains pour avoir le droit de te dire : “Tes yeux et tes mains ne sont pas indispensables à ton bonheur.” J'ai le droit de te le dire, puisque je sais ce que c'est : je l'ai vécu, je le vis. »

Une telle réponse tourne délibérément le dos au discours explicatif et fait état d'une autre connaissance acquise par l'expérience d'un combat. Mais que se passe-t-il donc entre le moment où un homme subit la violence d'un événement imprévu et celui où advient non seulement la capacité, mais le droit de dire ce qui s'est produit en lui ? Cette parole ne peut être détachée du chemin intérieur qui l'a fait naître et des étapes souvent difficiles qui ont été franchies.

Je propose au lecteur de s'immerger à l'intérieur de ce parcours, de rentrer dans un mouvement jamais arrêté, en oubliant provisoirement ce que d'autres lui ont appris sur le sens de la souffrance. Mon propos n'est pas de donner de mon travail hospitalier un témoignage qui n'ajouterait rien à beaucoup d'autres. Si je choisis d'évoquer mon expérience de soignant, c'est parce qu'elle me fait rencontrer des hommes et les femmes, soignants et soignés, qui ensemble subissent la violence de l'imprévu. Ceux-ci se trouvent arrachés, par la maladie ou l'accident, à une vie active et à leur cadre familier ; ceux-là vivent aussi des situations difficiles pour lesquelles ils ne pouvaient pas être préparés et dont ils ne sortent jamais indemnes. Je voudrais prendre du recul sur les situations particulières et dégager les lignes de crête d'une expérience commune de la souffrance ; depuis sept ans, je n'ai pas échappé à sa morsure. Ma parole, ici, n'est pas un droit, elle dira seulement les mystérieuses imbrications d'ombre et de lumière qui tissent le quotidien et qui révèlent la grandeur de l'homme.

Le temps de la maladie

Je n'ai jamais été hospitalisé ;