L'âme est un mot présent dans de nombreux textes de l'Ancien Testament. Le terme hébreu nefesh qui en rend compte désigne la gorge puis l'air qui y passe, d'où le souffle et la respiration, des signes de vie par excellence. Par extension, ce mot vise le principe de vie, le désir et donc l'âme, pour concerner la personne tout entière dans ses relations voire son état de dépendance et de nécessité. Il n'est donc pas étonnant que, parmi plus de sept cents emplois de la Bible, le mot nefesh se retrouve plus d'une centaine de fois dans l'ensemble des cent cinquante prières qui composent le psautier. C'est dire que ce livre des Louanges, sepher tehillîm comme le nomme la Bible hébraïque, fait une part belle à l'âme pour parler du priant et de son attitude devant Dieu1.
L'âme entre en scène dès le début du premier livret du psautier (Ps 3 – 41 [40]), juste après le prologue formé par les psaumes 1 et 2. D'emblée, le priant se plaint à Dieu des ennemis qui en veulent à son âme comme à lui-même : « Seigneur, qu'ils sont nombreux mes oppresseurs, nombreux ceux à se lever contre moi, nombreux ceux qui disent à mon âme : “Point de salut pour lui en Dieu !” » (Ps 3, 2-3). Ici, nous avons traduit littéralement : « ceux qui disent à mon âme ». On peut rendre le mot âme par le pronom personnel « moi », comme le fait la traduction de la Bible de Jérusalem2 : « ceux qui disent de moi » ou, selon la traduction liturgique : « à mon sujet ». Dans la bouche du priant, l'âme représente son être même, ce qu'il a de plus singulier, d'intime. Elle est sa raison d'être devant Dieu au milieu de ses contemporains, y compris face à ceux qui lui sont les moins sympathiques.
L'âme, en effet, n'existe pas pour elle-même. Comme toute personne, elle a vocation à être en relation avec les autres, pour le meilleur et pour le pire. Ainsi, Dieu est-il sommé par le psalmiste de parler directement à son âme : « Dis à mon âme : “C'est moi ton salut” » (Ps 35 [34], 3b). Mais il arrive fréquemment que des humains s'y intéressent, en particulier des êtres malveillants qui sont à la recherche de son âme. Tels des chasseurs, ils sont à l'affût du moindre faux pas : « Mes ennemis parlent de moi, ceux qui guettent mon âme se concertent : “Dieu l'a abandonné, pourchassez-le, empoignez-le, il n'a personne pour le défendre.” » (Ps 71 [70], 10-11). Non contents de se concerter, ils décident de passer à l'action pour s'en prendre à la vie du priant : « Voici qu'ils guettent mon âme, des puissants s'en prennent à moi ; sans péché ni faute en moi, Seigneur, sans aucun tort, ils accourent et se préparent » (Ps 59 [58], 4-5a). Leur attitude est tellement menaçante que l'âme du juste finit par en être terrassée, « couchée parmi les lions, qui dévorent les fils d'Adam ; leurs dents, une lance et des flèches, leur langue, une épée acérée » (Ps 57 [56], 5).
Il arrive parfois que les éléments de la nature se déchaînent contre elle, telles ces eaux en furie qui entrent jusque dans l'âme (Ps 69 [68], 2). C'est dire combien grande est l'angoisse du juste. D'où son cri d'appel envers celui-là seul qui peut le sauver. Dieu lui répondra, Lui qui sait se faire proche de l'âme de son serviteur : « Réponds-moi, Seigneur : car ton amour est bonté ; en ta grande tendresse regarde vers moi ; à ton serviteur ne cache point ta face, l'angoisse est sur moi, vite, réponds-moi ; approche de mon âme, venge-la, à cause de mes ennemis, rachète-moi » (Ps 69 [68], 17-19). Une fois délivré de son malheur, le priant ne manquera pas d'inviter ses proches à s'unir à sa prière pour tout ce que Dieu a fait de bon pour lui : « Venez, écoutez, que je raconte, vous tous les craignant-Dieu, ce qu'il a fait pour mon âme » (Ps 66 [65], 16).
Au fil de sa prière, le psalmiste laisse parler son âme pour dire tout le bien qu'il pense de Dieu. Dans la dernière partie du psautier, il donne libre cours à son âme pour bénir le Seigneur : « Bénis, Yhwh, mon âme, du fond de ton être, son saint nom, bénis Yhwh mon âme, n'oublie aucun de ses bienfaits » (Ps 103 [102], 1-2). Appel réitéré dans le psaume suivant : « Bénis Yhwh, mon âme » (Ps 104 [103], 1.35). Plus tard, son âme louera franchement le Seigneur en chantant « alléluia » pour tout ce qu'Il a fait de bien : « Alléluia ! Loue Yhwh, mon âme ! Je veux louer Yhwh tant que je vis, je veux jouer pour mon Dieu tant que je dure » (Ps 146 [145], 1-2). Cette louange est l'expression festive de sa confiance en Dieu quoi qu'il arrive, y compris face aux menaces de mort : « Je bénis Yhwh qui s'est fait mon conseil et, même la nuit, mon cœur m'instruit. J'ai mis Yhwh devant moi sans relâche ; puisqu'il est à ma droite, je ne puis chanceler. Aussi, mon cœur exulte, mes entrailles jubilent et ma chair reposera en sûreté ; car tu ne peux abandonner mon âme au Shéol, tu ne peux laisser ton fidèle voir la fosse. » (Ps 16 [15], 7-10).
Sûr de cette fidélité de Dieu à son égard, le priant peut oser lui dire son désir le plus profond, lui remettre sa soif de vivre : « Dieu, c'est toi mon Dieu, je te cherche, mon âme a soif de toi, après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau. » (Ps 63 [62], 2). Cette tension de l'âme vers Dieu exprime l'attitude juste du croyant, à la différence de celle de l'impie qui se détourne allégrement de Dieu, préférant n'écouter que lui-même : « L'impie se loue des désirs de son âme, l'homme avide qui bénit méprise Yhwh, l'impie, arrogant, ne cherche point : “Pas de Dieu !” Voilà toute sa pensée. » (Ps 10, 3-4). Le juste, lui, sait qu'il peut compter sur Dieu et sur sa Parole dans laquelle il trouve le réconfort et la paix : « La Loi de Yhwh est parfaite, réconfort pour l'âme » (Ps 19 [18], 8) ; « Non, je tiens mon âme en paix et silence ; comme un petit enfant contre sa mère, comme un petit enfant, telle est mon âme en moi » (Ps 131 [130], 2). Cette présence continuelle de Dieu est pour lui d'un grand soutien : « Mais voici Dieu qui vient à mon secours, le Seigneur avec ceux qui soutiennent mon âme » (Ps 54 [53], 6). Et ce, à chaque moment de sa vie, de jour comme de nuit : « Quand je songe à toi sur ma couche, au long des veilles je médite sur toi, toi qui fus mon secours, et je jubile à l'ombre de tes ailes ; mon âme se dresse contre toi, ta droite me sert de soutien. » (Ps 63 [62], 7-9).
Le psalmiste sait qu'il peut compter sur cette force d'âme dont il a déjà bénéficié dans les coups durs de la vie : « Le jour où j'ai crié, tu m'exauças, tu as accru la force en mon âme » (Ps 138 [137], 3). Grâce à l'assurance en ce secours divin, il est assuré de pouvoir se reposer en âme et conscience : « En Dieu seul le repos pour mon âme, de lui mon salut ; lui seul mon rocher, mon salut, ma citadelle, je ne chancelle pas […]. En Dieu seul repose-toi, mon âme, de lui vient mon espoir ; lui seul mon rocher, mon salut, ma citadelle, je ne chancelle pas ; en Dieu mon salut et ma gloire, le rocher de ma force. » (Ps 62 [61], 2-3.6-8). Il n'a donc plus rien à craindre, pas même la mort. Aussi, le croyant peut-il aller en paix : « Retourne, mon âme, à ton repos, car Yhwh t'a fait du bien. Il a gardé mon âme de la mort, mes yeux des larmes et mes pieds du faux pas : je marcherai à la face de Yhwh sur la terre des vivants » (Ps 116 [114-115], 7-9). Cette confiance inébranlable en Dieu ne le dispensera toutefois pas, un jour ou l'autre, de connaître des maux de l'âme.
Bien que tendue vers Dieu, l'âme du croyant n'est pas dispensée de connaître des épreuves qui peuvent la faire vaciller. Le psalmiste en est conscient au point de se dire à lui-même ouvertement : « Qu'as-tu, mon âme, à défaillir et à gémir sur moi ? Espère en Dieu : à nouveau je lui rendrai grâce, le salut de ma face et mon Dieu ! Mon âme est sur moi défaillante, alors je me souviens de toi : depuis la terre du Jourdain et des Hermons, de toi, humble montagne […]. Qu'as-tu, mon âme, à défaillir et à gémir sur moi ? Espère en Dieu : à nouveau je lui rendrai grâce, le salut de ma face et mon Dieu ! » (Ps 42 [41], 6.12). Et de le répéter : « Qu'as-tu, mon âme, à défaillir et à gémir sur moi ? Espère en Dieu : à nouveau je lui rendrai grâce, le salut de ma face et mon Dieu ! » (Ps 43 [42], 5).
Pour le priant, la vie n'est donc pas toujours un long fleuve tranquille. Il lui arrive d'essuyer bien des tempêtes. Il ne manque pas une occasion de dire à Dieu qu'il est à bout, que ses forces lui échappent et que son « âme est toute bouleversée » (Ps 6, 4), angoissée (Ps 31 [30], 8) voire révoltée au point de s'interroger : « Jusques à quand mettrai-je en mon âme la révolte, en mon cœur le chagrin, de jour et de nuit ? » (Ps 13 [12], 3). Il lui arrive aussi d'éprouver douloureusement la solitude, de faire l'expérience de l'abandon, comme en prison, et de s'en plaindre à Dieu : « Regarde à droite et vois, pas un qui me reconnaisse. Le refuge se dérobe à moi, pas un qui ait soin de mon âme […]. Fais sortir de prison mon âme, que je rende grâce à ton nom ! » (Ps 142 [141], 5.8). Tout l'être croyant se trouve chamboulé par les drames de la vie. À l'instar du corps, l'âme peut être amenée à subir des accrocs de santé : avoir de la fièvre comme du temps des pères au désert (Ps 106 [105], 15), connaître le mal de mer (Ps 107 [106], 26), voire être carrément sous l'eau : « Alors les eaux nous submergeaient, le torrent passait sur nous, alors il passait sur notre âme en eaux écumantes » (Ps 124 [123], 4-5).
Que faire face à tant d'adversités ? En faire son deuil en pratiquant le jeûne (Ps 69 [68], 11) ou bien s'en remettre à Dieu qui peut tout grâce au témoignage de sa Parole : « Étranger que je suis sur la terre, ne me cache pas tes commandements. Mon âme se consume à désirer en tout temps tes jugements. Tu t'en prends aux superbes, aux maudits, qui sortent de tes commandements. Décharge-moi de l'insulte et du mépris, car je garde ton témoignage. Que des princes tiennent séance et parlent contre moi, ton serviteur médite tes volontés. Ton témoignage, voilà mes délices, tes volontés, mes conseillers » (Ps 119 [118], 19-24). Seul le Seigneur, Dieu de l'alliance, est en mesure de sauver l'âme en peine des attaques de l'ennemi (Ps 109 [108], 31), de l'épée meurtrière de ceux qui se comportent comme des bêtes (Ps 22 [21], 21), jusqu'à pousser les pas de l'innocent vers la tombe (Ps 26 [25], 9). Dans la prière inspirée des psaumes, le fidèle sait que, quoi qu'il arrive, le Seigneur ne manquera pas d'agir en sa faveur.
Au cœur de son épreuve, le psalmiste n'hésite pas à se tourner vers le Seigneur. Que peut-il faire pour son âme ? Le priant cherche d'abord à être préservé des attaques de l'ennemi sous toutes les formes : ruse, guet-apens, tentative d'affrontement direct. Le fidèle n'hésite donc pas à en appeler directement au Seigneur pour qu'il le protège par le truchement de sa Parole : « Enseigne-moi, Seigneur, ta voie, conduis-moi sur un chemin de droiture à cause de ceux qui me guettent ; ne me livre pas3 à l'appétit de mes oppresseurs : contre moi se sont dressés de faux témoins qui soufflent la violence » (Ps 27 [26], 11-12). Si les méchants passent à l'action, le priant n'a alors d'autre solution que de solliciter l'intervention directe du Seigneur pour qu'il le garde des assauts du mal : « Garde-moi comme la prunelle de l'œil ; à l'ombre de tes ailes, cache-moi aux regards de ces impies qui me ravagent ; ennemis au fond de l'âme, ils me cernent » (Ps 17 [16], 8-9). Au besoin, il demande au Seigneur de répondre à sa place alors que lui-même ne sait que répondre : « Ils posent des pièges, ceux qui traquent mon âme ; ils parlent de crime, ceux qui cherchent mon malheur ; tout le jour, ils ruminent des trahisons […]. C'est toi, Yhwh, que j'espère, c'est toi qui répondras, Seigneur mon Dieu » (Ps 38 [37], 13.16).
Le Seigneur, qui est la voix des sans-voix, prend fait et cause pour l'innocent. Il est parfois sommé de le faire avec vigueur, tel un guerrier prêt au combat : « Accuse, Seigneur, mes accusateurs, assaille mes assaillants ; prends armure et bouclier et te lève à mon aide ; brandis la lance et la pique contre mes poursuivants. Dis à mon âme : “C'est moi ton salut.” Honte et déshonneur sur ceux-là qui cherchent mon âme ! Arrière ! Qu'ils reculent confondus, ceux qui ruminent mon malheur ! » (Ps 35 [34], 1-4). Au plus fort de la prière, il n'y a pas seulement des ennemis à abattre, il y a aussi un croyant à sauver. Cet appel à l'aide est clairement relayé quelques psaumes plus loin : « Daigne, Seigneur, me secourir ! Yhwh, vite à mon aide ! Honte et déshonneur sur tous ceux-là qui cherchent mon âme pour la perdre ! » (Ps 38 [37], 13).
Le Dieu qui sauve est Celui qui détruit. Il n'est pas de salut effectif sans élimination du mal en ses racines. Le psalmiste en est conscient au point qu'il n'hésite pas à sommer le Seigneur d'anéantir ses ennemis. Cette demande de prière est dure à entendre. Elle surgit au terme d'une douloureuse supplication : « À cause de ton nom, Yhwh, fais que je vive en ta justice ; tire mon âme de l'angoisse, en ton amour anéantis mes ennemis ; détruis tous les adversaires de mon âme, car moi je suis ton serviteur » (Ps 143 [142], 11-12). Celui qui parle n'en peut plus au point qu'il renonce même à se faire justice. Il demande seulement au Seigneur de prendre le relais. C'est, pour lui, une question de vie ou de mort. Seule la prière psalmique est en mesure de le maintenir en vie. Sans doute est-ce cela la grandeur d'âme dont fait preuve le priant dans le psautier : espérer une offrande de Vie toujours là.
1 Pour une présentation générale du psautier, voir Jean-Luc Vesco, Le psautier de David, tome I, Cerf, « Lectio Divina », n° 210, 2006, pp. 15-75, et André Wénin, Des Louanges, Entrer dans le psautier, Lessius, « Le livre et le rouleau », 2022.
2 Sauf indication contraire, la traduction proposée est celle de la Bible de Jérusalem.
3 Littéralement : « qui ne livre pas mon âme ».