Parution initiale dans Christus n° 157 (janvier 1993).
L'acédie est une maladie de l'âme bien connue des anciens solitaires, qui se manifeste par la lassitude du cœur, l'abattement de l'esprit, la tristesse et le découragement. Ceux qui en souffrent n'éprouvent plus aucun goût pour les réalités spirituelles et sombrent, à moins qu'ils ne réagissent avec vigueur, dans une sorte de torpeur.
« La France souffre de langueur », disait le président François Mitterrand. Il évoquait la morosité sociale, cet état d'âme si répandu aujourd'hui. Chacun, en effet, attend la fameuse « reprise » – relance de l'économie, retour du religieux – qui mettrait un terme à cette morosité, un peu comme on attend Godot, sceptique et complice d'un enlisement qui donne de si bonnes raisons au statu quo et au mécontentement. Au lieu de se changer soi-même, de se retourner vers les valeurs exigeantes et fortes qui seules peuvent répondre aux aspirations fondamentales, on préfère attendre le miracle. D'où cette sorte de mélancolie, ce « bonheur d'être triste », dont parlait Victor Hugo, qui, se mêlant à tous les autres sentiments, leur imprime son caractère d'incertitude et de fragilité. Søren Kierkegaard a bien décrit cette impuissance spirituelle qui, parce qu'elle est accouplée à une nostalgie consumante, est « si dépourvue de contours que je ne sais même pas ce qui me manque ». Dans sa très fine analyse de la mélancolie1 , Romano Guardini a montré comment cette souffrance douloureuse s'insinuait jusqu'aux racines de l'existence humaine et qu'elle représentait un phénomène d'ordre spirituel.
Morosité, langueur, mélancolie, ces mots aux fortunes diverses ont en commun d'évoquer un sentiment profond et durable d'insatisfaction devant le présent difficile, de lassitude face à une réalité fuyante. Maladie sociale, atonie de l'âme… Les Anciens l'avaient déjà démasquée, cette hydre à sept têtes qui n'épargnait personne, pas même – bien au contraire – ces solitaires qui, loin de l'agitation des villes, allaient l'affronter au désert : l'acédie2 ! C'est ainsi, en effet, que la définit le dictionnaire Theo : « État spirituel d'atonie où l'esprit flotte et la chair est lourde. Ce marasme et cette indolence spirituelle sont la source du découragement, de l'inconstance, de l'infidélité autant que de l'activisme, quand celui-ci est une manière de refuser d'affronter les réalités spirituelles. »
À y regarder d'un peu plus près, on voit mieux le lien que notre morosité3 entreti