L'histoire de Jonas est assez bien connue. Prophète missionné pour porter une parole aux habitants de Ninive, il fuit par la mer au bout du monde. Une tempête survient et Jonas, considéré comme la cause du risque de naufrage, est jeté à la mer. Un grand poisson l'avale et le rejette sur la plage. Du coup, Jonas accepte sa mission et va à Ninive dont les habitants se convertissent rapidement, laissant Jonas dépité.

Sur ce canevas, l'auteur écrit un roman dans lequel il explore la vie intérieure de Jonas, dans trois épisodes d'égale longueur, celui de la fuite, celui de la marche vers Ninive (l'actuelle Mossoul) et celui de l'annonce et de ses effets sur les habitants et sur le prophète.

C'est le style, l'écriture, qui frappe d'abord. Chaque paragraphe, numéroté, est une petite méditation, dont on ne sait pas immédiatement dans quel cœur elle se déploie : à l'intime de Jonas, ou d'un marin, ou de la voix d'un tout-autre. Impossible d'aller vite dans la lecture, le rythme des phrases étant lui-même évocateur de réalités intérieures qui ne suivent pas une logique cartésienne. Le livre s'invite donc pour une lecture au fauteuil, tranquille, comme on cherche à entrer dans de la poésie. Le genre littéraire est hybride (essai, roman, poème en prose) qui tient à la fois de la philosophie, de la théologie, de la psychanalyse.

Ce sont sans doute les quelques pages finales de chacune des trois parties qui aident à mieux saisir le fil du propos : réflexions sur la Parole, sur sa source (perdue, redonnée), sur Dieu (« Cet autre qui murmure ses ordres dans le creux de l'oreille, il est qui ? », n° 180), sur ses messagers (« La voix de l'émissaire inconnu, l'homme en mission bouc émissaire »), sur le salut (« Personne ne peut sauver comme moi ! Quand je dis que je sauve, je sauve ! Ça, ils ne comprennent pas. Et lui, on dirait qu'il n'en veut pas ! Qu'il ne veut pas que je le sauve ! qu'il ne veut pas de moi ! », n° 84).

Que cette citation (n° 264) sur la liberté de l'homme face à son Dieu, son obéissance et son refus, donne envie au lecteur d'entrer dans cette méditation : « Tu veux qu'on dise oui ! Qu'on te dise oui ! Faire obéir, tu peux !… Mais ça s'arrête là. Tu entends, ça s'arrête là ! Qu'importe qui parvient à le comprendre, ta limite est là. Et ceux qui s'en approchent sont ceux qui s'approchent d'être homme. »