Gallimard, 2010, 160 p., 12,50 euros.

Un ouvrage d’imagination, en principe, n’a pas sa place dans la revue Christus, appartînt-il à la prestigieuse collection blanche de la NRF. Quand un écrivain s’empare de la figure d’un saint, on se méfie un peu. Pour beaucoup, « la littérature n’est guère compatible avec la sainteté », écrit justement François Sureau. Or son « portrait » d’Ignace de Loyola est la démonstration, rare, du contraire.
Il s’agit bien d’une oeuvre d’imagination, due à un écrivain de classe. Mais une imagination très contrôlée, à la manière d’Ignace lorsqu’il explique à celui qui fait les Exercices spirituels en quoi consiste « la composition de lieu » : « voir par le regard de l’imagination le lieu matériel où se trouve ce que je veux contempler ». François Sureau a voulu « contempler » Ignace, laisser son image prendre corps peu à peu en lui. Il le suit du rempart de la citadelle de Pampelune, où il s’apprête à vendre cher sa vie, jusqu’au départ de Manrèse, un an et demi plus tard, au seuil de la vita nuova à laquelle il vient de s’éveiller. C’est à cet éveil que nous assistons. Un éveil à la liberté, « cette liberté qui devait rester pour lui indissociable de l’appel de Dieu ». Un éveil progressif, raconté sans fioritures, sans fioretti.
L’ouvrage révèle une maîtrise exceptionnelle des sources ignatiennes. L’historien le plus pointilleux n’y trouverait rien à redire. Et, comme tout le monde, il se laisserait entraîner par la puissance du style : l’auteur a su faire sienne, à sa manière bien sûr, l’énergique sobriété de la manière d’Ignace, qui se reflète jusque dans le Récit dit « du Pèlerin », qu’il n’a pourtant pas écrit lui-même.
Admirable est, à cet égard, l’évocation de la mort du saint par laquelle s’ouvre ce portrait : une mort dans la solitude, sans mise en scène, sans pathos : « Nous n’en connaissons pas le dernier mot, quand il s’est tourné [vers le mur] pour mourir, dans cette chambre étroite, privé des derniers sacrements de l’Église. »
Nous ne connaîtrons pas non plus le dernier mot, le secret de l’homme qu’il fut. C’est le propre des vraies biographies : respecter le point aveugle d’où jaillit la flamme d’une vie. À plus forte raison lorsqu’il s’agit du portrait d’un mystique. « Mystique » a à voir avec « mystère ». Si pénétrant que soit le regard du peintre, si accordé soit-il aux réalités qu’il scrute, si fine que soit la touche de son pinceau, il ne fait jamais que tenter de cerner un mystère. Rembrandt et Bernanos l’ont su mieux que quiconque. Rien de tel que les ombres pour créer la lumière.
Que les frontières entre la littérature « spirituelle » et la littérature tout court puissent être bien incertaines, ce livre en offre une belle illustration.