La justice restaurative opère un déplacement de perspective, en mettant les victimes au centre. L'Église elle-même pourrait s'en inspirer et repenser son discours sur le pardon, notamment sacramentel. Dans un esprit similaire, lors du Grand Pardon, le judaïsme enjoint les croyants à se présenter devant celles ou ceux qu'ils ont offensés. À travers ses multiples récits qui dévoilent la complexité des rapports humains, la Bible elle-même enseigne qu'il n'est pas de vivre ensemble sans la restauration des relations de fraternité. Confesser un Dieu qui entre en relation avec l'humanité et par là assume ce qui relève de toute relation – le risque de blesser ou d'être blessé – ne mène-t-il pas à poser la question : Dieu peut-il être le destinataire de notre pardon ?

Par sa vie et sa mort en victime innocente de la violence, Jésus révèle la mesure du pardon de Dieu. Pour ne pas interpréter la demande du Notre Père de « pardonner comme Dieu nous pardonne » comme la mise sous condition du pardon, il est important d'entrer dans l'esprit de cette prière : celui d'un amour donné sans limites. Accueillir le caractère inconditionnel de l'amour qui nous est dispensé est l'expérience que font faire les Exercices spirituels. La découverte qu'il est précédé par un amour infini permet au retraitant de se présenter devant le Seigneur sans craindre le jugement.

Si la tâche de pardonner nous semble impossible, c'est parce qu'elle nous convoque au lieu même où division et violence ont triomphé. Jamais garanti, le pardon vient cependant opposer une réponse au mal. Sa puissance et sa faiblesse ne tiennent-elles pas au fait qu'il se dresse sur le lieu même du malheur ? Évoquer le pardon à cet endroit, c'est convoquer le bien absolu : l'amour.