Les Exercices spirituels de saint Ignace sont introduits par ce titre : « Annotations pour prendre quelque intelligence des exercices spirituels qui suivent et pour aider celui qui doit les donner et celui qui doit les recevoir. » Il s'agit de vingt notes brèves en forme de conseils pédagogiques, adressées principalement à celui qui donne les Exercices, mais dont la portée va au-delà de la pure pédagogie. En ce sens, elles donnent une certaine « intelligence des Exercices », étant entendu qu'ils ne dévoileront leur pleine intelligibilité qu'à mesure qu'ils seront faits.

Par ailleurs, les annotations posent d'emblée le principe d'une relation antérieure à celle que le retraitant vient chercher – entre Dieu et lui. Cette relation sera maintenue tout au long du parcours entre « celui qui doit donner et celui qui doit recevoir » les Exercices, et elle sera l'objet de notre étude. La relation entre retraitant et accompagnateur introduit en effet à celle que le retraitant désire avec Dieu. Elle en vérifie l'authenticité durant toute la durée de la retraite1.

Mais il convient d'abord de prendre la mesure de l'affirmation abrupte, voire révoltante, de ces tout premiers mots du livret. La retraite, en effet, est « un temps pour Dieu », une solitude avec Dieu. Le seul qui intéresse le retraitant est Dieu à qui, dès le départ, il est prêt à « offrir tout son vouloir et toute sa liberté » (Exercices spirituels, 5). Et voilà qu'on lui impose un autre interlocuteur sur lequel, forcément, il lui faudra investir une part de son vouloir et de sa liberté. De quoi vient-il se mêler ?

L'expérience atteste que « celui qui donne les Exercices » représente d'emblée une menace et constitue la pierre d'achoppement lorsqu'on fait à quelqu'un pour la première fois la proposition des Exercices individuellement accompagnés. Pourquoi cette peur de l'autre ? Simplement parce qu'il est autre. Avant que toute parole soit échangée, son regard, ou la simple appréhension de son regard, est comme un miroir qui me renvoie à moi-même et me divise d'avec moi-même : me sentant jugé par lui, à tort ou à raison, je me juge. La présence de l'autre mesure l'écart entre la sincérité du discours et la spontanéité des réactions primitives. Par exemple, vous récusez formellement le racisme et vous vous sentez capable de militer contre ; mais, un soir, dans une rue déserte, si vous voyez venir un petit groupe de Noirs ou de Nord-africains, vous avez envie de passer sur l'autre trottoir… L'autre fait peur.

Paradoxalement, pour peu que quelqu'un ait fait quelques pas dans la prière personnelle, il n'a plus peur de Dieu, qui est pourtant le Tout-Autre. Il passe allégrement sur les textes de l'Écriture qui lui déclarent, à grand renfort d'images, combien « il est terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant » (Hébreux 10,31). Il les attribue à une mentalité d'un autre âge, comme la fresque du Jugement dernier dans la chapelle Sixtine. Le Christ de Michel-Ange n'est pas le Christ qu'il rencontre dans sa prière. D'ailleurs, si je l'aime, peut-il me faire peur ? Et s'il m'aime, pourquoi prendrait-il ce visage terrifiant ?

Mais là est la question. Quel est celui que je prétends aimer et dont je prétends