Eh bien, allons-y ! Moment pénible, barrière presque infranchissable pour moi : vaincre mes réticences et livrer le fond de mon cœur à un candide morceau de papier quadrillé. (...) Je n'ose pas me livrer, m'épancher librement et pourtant il le faudra bien, si je veux à la longue faire quelque chose de ma vie lui donner un cours raisonnable et satisfaisant » 1. Ainsi commence une aventure spirituelle des plus singulières du XX siècle où se risque une jeune juive néerlandaise supérieurement douée et qui le sait mais qui sait aussi, pour en souffrir, qu'il y a au fond d'elle-même « quelque chose qui [la] retient dans une poigne de fer ». Aventure d'une élucidation de soi, d'une honnêteté exemplaire : on pourrait dire tout aussi bien guérison, dans la mesure où, au long de cette exploration de l'intérieur par la médiation de l'écriture la « pauvre godiche peureuse », comme die se désigne sans ménagement advient à sa vérité propre délivrée de la peur. Cette odyssée psychique autant que spirituelle est scandée par l'apparition régulière au fil du texte de « la fille qui ne savait pas s'agenouiller » 2.
Cette figure anonyme qui n'est autre que son double l'autre d'elle-même surgit curieusement à l'occasion d'un problème d'équilibre alimentaire : une envie boulimique de dévoration la saisit, qui lui répugne pourtant de voir chez sa propre mère et qui la préoccupe à bon droit car ce désordre des appétits, auquel les Pères du désert lient celui de la sexualité (autre source d'effervescence pour elle), entrave sérieusement le progrès spirituel. Or elle « qui ne savait pas s'agenouiller », finit par y être contrainte sans subir quelque pression que ce soit. Geste inaugural, qui produit ce qu'il signifie : une rupture en faisant advenir ce qui était jusque-là impensable et qui s'impose, défaite ou victoire on ne sait, un samedi de novembre « sur le rude tapis de sisal d'une salle de bain un peu fouillis ».
La symbolique de ce lieu inattendu, peu propice à la piété, parle d'elle-même : du milieu du « fouillis », du chaos primitif, l'être en sa nudité native originelle émerge de l'eau lustrale, dans un mouvement de gratitude infinie L'agenouillement mieux que la sexualité, conduit à l'intime de l'âme que seuls les poètes savent dire ; d'où la gêne