Cette figure anonyme qui n'est autre que son double l'autre d'elle-même surgit curieusement à l'occasion d'un problème d'équilibre alimentaire : une envie boulimique de dévoration la saisit, qui lui répugne pourtant de voir chez sa propre mère et qui la préoccupe à bon droit car ce désordre des appétits, auquel les Pères du désert lient celui de la sexualité (autre source d'effervescence pour elle), entrave sérieusement le progrès spirituel. Or elle « qui ne savait pas s'agenouiller », finit par y être contrainte sans subir quelque pression que ce soit. Geste inaugural, qui produit ce qu'il signifie : une rupture en faisant advenir ce qui était jusque-là impensable et qui s'impose, défaite ou victoire on ne sait, un samedi de novembre « sur le rude tapis de sisal d'une salle de bain un peu fouillis ».
La symbolique de ce lieu inattendu, peu propice à la piété, parle d'elle-même : du milieu du « fouillis », du chaos primitif, l'être en sa nudité native originelle émerge de l'eau lustrale, dans un mouvement de gratitude infinie L'agenouillement mieux que la sexualité, conduit à l'intime de l'âme que seuls les poètes savent dire ; d'où la gêne d'Etty lorsqu'elle est surprise inopinément en cette posture Sur le seuil de ce sanctuaire intérieur, elle éprouve de plus en plus la nécessité d'une récollection de soi : se recueillir pour lutter et « empêcher [ses] forces de se pulvériser dans l'infini », dans la poussière de la mort
Mais en ces temps où les masses gémissent dans l'étau totalitaire l'agenouillement qui, au-delà de l'acte conventionnel, est avant tout attitude de l'âme, s'avère attestation indépassable de la dignité humaine : dans la lande qui entoure le camp de Westerbork, autre figure de la terre primordiale sous l'infini du ciel étoile, être à genoux devient le geste d'une intimité partagée dans la chair où s'énonce la...
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