Ils peuvent avoir l'impression d'une réduction de l'expérience spirituelle et relationnelle à un « devoir-faire » et à des « lieux communs » ; ces derniers risquent d'embrigader leur conscience et leur capacité d'agir au lieu de les libérer et de les faire grandir. L'homme grégaire c'est-à-dire l'homme identifié à l'agir d'un groupe et rien qu'à lui, n'est-il pas vertigineusement habile à masquer ses appétits de puissance et de servitude sous les oripeaux de l'humanisme ? A vouloir tout miser sur les rapports sociaux, on se révèle en être les profiteurs.
A rebours d'une telle hypocrisie, nous pouvons un instant être séduits par la sombre hauteur d'une profession de foi toute en verticalité : au lieu de s'aligner sur un discours consensuel et passe-partout, l'audace et la fidélité consisteraient à toujours vouloir affirmer, à temps et à contre-temps, la singularité du Dieu chrétien contre tous les atermoiements de l'humanisme. La vérité de la foi serait alors à proclamer sans fausse prudence, loin de tout souci de médiation : malheur à qui voudrait substituer la cotte de maille percée du lien social au roc indéfectible de la foi.
Par ailleurs, les représentations spontanées de ce que sont la «mystique » et le « service » ajoutent au trouble de cette contradiction. A la première écoute, ces deux mots se télescopent plus qu'ils ne se complètent. Si nous croyons vraiment qu'ils sont les deux faces d'un même inséparable don, nous devons cependant rendre compte de leur tension contradictoire. Le « service » se réfère en effet à la condition d'esclave quand le mot « mystique » évoque la liberté d'une union immédiate à Dieu. Ne serait-il donc jamais permis en ce monde de s'ouvrir à l'amitié du Fils de l'homme en toute gratuité ? La dénégation de toute parole de cet ordre au profit d'une religion de l'utile et d'un altruisme volontariste peut susciter bien des perplexités. Au lieu des traces d'une rencontre partagée par un être de chair et de sang, nous n'entendrons plus que des discours truffés d'injonctions répétitives et de mises en demeure péremptoires. En guise de réponse à la soif de Dieu se dresse le même épouvantail d'instructions sans voix ni visage. Où puiser alors le vin nouveau d'une ouverture à Dieu et à autrui sans jugement ni calcul et si d'aventure on le découvre et le reçoit, ne va-t-il pas faire éclater les vieilles outres du langage ?
Par ailleurs, les représentations spontanées de ce que sont la «mystique » et le « service » ajoutent au trouble de cette contradiction. A la première écoute, ces deux mots se télescopent plus qu'ils ne se complètent. Si nous croyons vraiment qu'ils sont les deux faces d'un même inséparable don, nous devons cependant rendre compte de leur tension contradictoire. Le « service » se réfère en effet à la condition d'esclave quand le mot « mystique » évoque la liberté d'une union immédiate à Dieu. Ne serait-il donc jamais permis en ce monde de s'ouvrir à l'amitié du Fils de l'homme en toute gratuité ? La dénégation de toute parole de cet ordre au profit d'une religion de l'utile et d'un altruisme volontariste peut susciter bien des perplexités. Au lieu des traces d'une rencontre partagée par un être de chair et de sang, nous n'entendrons plus que des discours truffés d'injonctions répétitives et de mises en demeure péremptoires. En guise de réponse à la soif de Dieu se dresse le même épouvantail d'instructions sans voix ni visage. Où puiser alors le vin nouveau d'une ouverture à Dieu et à autrui sans jugement ni calcul et si d'aventure on le découvre et le reçoit, ne va-t-il pas faire éclater les vieilles outres du langage ?
Ce passage par la nuit du « service », l'impossibilité de trouver un lieu vraiment authentique pour le don et le charisme singulier de chacun n'est pas à prendre trop à la légère. Un vrai désir passe par un temps de désespoir où on se met à douter de la vérité des institutions à pouvoir honorer l'accueil de l'autre. Les normes d'un groupe, si nécessaires soient-elles, n'interdisent-elles pas déjà en elles-mêmes une hospitalité inconditionnelle de l'autre, avec tout ce qu'il a de dérangeant et d'imprévu, d'incoercible et d'excessif ?
Cependant, le droit -à multiplier les questions et à les faire entendre creuse aussi toujours davantage l'écart entre l'appel incessant des autres à aider réellement et la volonté de préserver le confort de son quant-à-soi dans d'interminables justifications. Un esprit de chicane refuse l'humilité du service sous de beaux prétextes qui, à la fin, n'attestent rien d'autre qu'une pulsion de mort et un désir de rien.
La nouveauté du Christ est de rompre les sophismes subtils, l'encerclement de la volonté par les sirènes d'un discours qui, au fond, ne cherchent que l'inertie et l'unanimité d'une prudence bien trop de ce monde pour être vraiment vivante et apporter du nouveau.
S'ouvrir à l'expérience de la nouveauté, c'est consentir à ne pas mesurer la vérité de mon prochain à mes rêves timorés d'uniformité et de reconnaissance. C'est en devenant librement son otage que l'on se rend présent à la nouveauté du Christ. En répondant à son appel à travers l'étranger, le pauvre, l'inadmissible, c'est aux aliénations de mon amour-propre que je peux renoncer.
La joie d'aider l'autre jusqu'à reconnaître qu'il me redonne la vie en me sauvant de moi-même, cette joie n'est pas une plus-value, un automatisme de l'altérité, mais elle est une surabondance de liberté promise par le Christ à tout être qui s'y engage.
Il y aura toujours de l'autre plutôt que rien, c'est la grande leçon amoureuse de tout service. Si modeste et si mêlé qu'il soit, il m'apprend l'amour de Dieu par l'effacement de soi qu'il m'offre et m'impose.
Claude Tuduri, sj
Claude Tuduri, sj