Novalis, 2006, 142 p., 15 euros.

Un livre de lecture facile, qui aborde de front le problème de la Providence, tel qu’il se pose depuis les grandes tragédies du XXe siècle. Que faisait Dieu ? Pourquoi son silence ? Jacques Lison aborde la question avec clarté, montrant à quelles dérives engage un « providentialisme » qui voit Dieu agir de l’extérieur sur les événements. Dieu peut-il changer le cours des choses ? Beaucoup, refusant un Dieu interventionniste, préfèrent aujourd’hui croire en un Dieu « ordinaire » qui respecte l’autonomie des réalités terrestres et ne tire pas les ficelles. Il n’agit pas sur le monde, dit l’auteur, mais dans le monde. Il est le Dieu de l’histoire, de l’Alliance, qui agit dans le coeur des hommes à qui il a confié la création.
Mais alors, quelle place reste-t-il pour la providence dans le cours des choses ? Il nous a voulus « providents » les uns pour les autres. Mais il n’agit sur la liberté humaine qu’en se servant des causes secondes, c’est-à-dire « en disposant les circonstances et les événements de manière non seulement à sauvegarder cette liberté, mais aussi à pousser la responsabilité humaine à s’affirmer le plus clairement possible ». Aussi, c’est en relisant les événements dans la foi que les croyants peuvent voir des miracles là où d’autres ne discernent rien : « Dieu n’agit pas sur les événements, mais en moi pour que je les perçoive comme lui, Dieu, les perçoit, et que j’entre ainsi dans ses propres sentiments. »
Cette manière de voir – qui doit beaucoup à certains modernes comme Hans Jonas, Etty Hillesum ou Dietrich Bonhoeffer, qui ont affirmé « la faiblesse de Dieu » – a le mérite de démythifier une providence « bouche-trou », et d’insister sur la responsabilité humaine. Mais, à pousser cette vue de façon trop exclusive, elle s’expose au risque d’une autre dérive, celle d’un intellectualisme (la providence est dans l’interprétation que je fais) et d’un volontarisme (elle est dans mon agir responsable). Car, en effet, s’il y a une interprétation de l’histoire qui laisse place à la providence, c’est que justement il y a quelque chose à voir. Il y a des signes de l’agir de Dieu dans le monde. « À vous est donné de comprendre les mystères du Royaume, dit Jésus, mais à ceux du dehors, tout leur arrive en parabole. » Une autre ligne de la tradition chrétienne ne peut être oubliée, celle de la puissance de l’Esprit Saint dans le coeur des hommes, que l’auteur désigne du nom de « synergie », celle de la grâce au sein de la liberté, telle qu’elle est développée chez Thomas d’Aquin lui-même et les grands théologiens de l’expérience chrétienne, un François de Sales, un Caussade, un Karl Rahner. Dieu, reconnaissent- ils, n’agit pas seulement dans le monde par la foi, pas seulement par les « causes secondes », mais directement, en suscitant, mêmes chez les incroyants, des démarches de solidarité parfois héroïques grâce à l’amour répandu dans les coeurs par l’Esprit Saint. Il se laisse reconnaître par les fruits que porte cet Esprit. Et s’il y a du mal moral dans le monde, ce n’est pas que le bras de Dieu soit trop court.
L’action providente de Dieu est beaucoup plus limitée par la fermeture des hommes à l’amour que par les lois qu’il a posées lui-même pour garantir l’autonomie de la création.