Julia Kristeva est professeure de linguistique à l'université Paris VII et psychanalyste. Elle a publié un livre, Étranger à nous-mêmes (Fayard, 1988), qui invite à penser notre propre façon de vivre en étranger ou avec des étrangers, en décrivant le destin de l'étranger dans la civilisation européenne. L'« inquiétante étrangeté » de Sigmund Freud conclut ce parcours en suggérant une nouvelle éthique : ne pas intégrer l'étranger, mais respecter son désir de vivre différent, qui rejoint notre droit à la singularité, cette ultime conséquence des droits et des devoirs humains. Son livre Lettre ouverte à Harlem Désir (Rivages, 1990) appelle à dépasser les oppositions schématiques entre racisme et humanisme, nationalisme et cosmopolitisme. Nous l'avons interrogée, au nom de l'Histoire et de la psychologie, sur la manière d'assumer et de dépasser cette « peur de l'autre » qui rend tout dialogue impossible.

Christus : Vous dites, dans votre livre, que la France devient le « melting-pot » de la Méditerranée, et qu'une question se pose aujourd'hui, qui est la pierre de touche de la morale pour le XXIe siècle : comment vivre avec « les autres » sans les rejeter ni les absorber ? Pourriez-vous souligner le caractère original de la rencontre de l'étranger dans le monde actuel ?

Julia Kristeva : En écrivant Étrangers à nous-mêmes, j'ai essayé de reconstituer l'histoire de l'accueil de l'étranger dans notre civilisation grecque, juive et chrétienne. C'est un problème séculaire ! De nos jours, il se pose de façon originale et plus difficile encore. On n'a jamais vu, en effet, une aussi grande extension du nombre d'individus sur la terre, et en France en particulier, obligés de quitter leur lieu d'origine et de se mélanger à d'autres cultures, ethnies ou races. Et cette augmentation se heurte aujourd'hui