Jean marche d’un pas assuré. De loin, on ne distingue que sa maigre silhouette ; mais à le voir ainsi cheminer, on le devine pèlerin : un long manteau habille son corps jusqu’aux pieds et un chapeau à larges bords dissimule en partie son visage. Sa panetière, ourlée de clochettes, est son unique bagage. Balançant fièrement son bourdon au rythme du joyeux tintement des grelots, il sourit. Et pour cause : il croit toucher au but. Devant lui se dressent les tours d’une forteresse dont les pierres resplendissent au soleil ; elles sont vertes, couleur de l’espérance. C’est la cité sainte, la Jérusalem céleste — « la demeure de Dieu parmi les hommes » où, selon l’Apôtre, « la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil ni cri de souffrance ni douleur » (Ap 21,3-4).
« Allons, se félicite le pèlerin, le voyage n’a pas été long et je suis déjà arrivé ! » L’homme est confiant ; il s’étonne cependant de parvenir si vite à bon port. Une petite voix intérieure lui murmure qu’il n’a pas mérité son salut, que le moment n’est pas venu d’accéder à la béatitude éternelle. Aussi accueille-t-il sans maugréer les paroles de l’ange qui se tient sur le seuil, armé d’une grande lance : « Nul ne passe la porte de la cité sans en être digne. » Le pèlerin pressent que cette sentence est juste. La route s’ouvre tout juste à lui, et il lui faut encore marcher. « Ce que l’âme souhaite, le corps doit l’éprouver. Sur le chemin de la vie, tu dois montrer ta force et faire pèlerinage. La porte du royaume céleste est à ce prix. Laisse l’Esprit te conduire, et tiens tous tes sens en repos. (…) Alors, je t’ouvrirai la porte de l’éternité. »
Tel est le premier tableau du songe que fit, dans les années tourmentées du début du XIVe siècle, le moine Guillaume de Digulleville, prieur de l’abbaye de Chaalis 1. La figure emblématique de son sympathique personnage a traversé les âges, et se rappelle aujourd’hui au marcheur qui a décidé de conduire son âme en pèlerinage.
 

Le chemin, une vocation ?


Et ils sont de plus en plus