Mon enfance passée dans les Ardennes fait qu'aujourd'hui encore, je me sens plus « chez moi » au cœur d'une forêt que dans le quinzième arrondissement de Paris, où se trouve ma communauté. Cela fait pourtant plus de vingt-trois ans que j'habite cette ville. Mais elle continue à être pour moi un milieu auquel je demeure étranger.

Je souhaitais avoir l'occasion de me réconcilier avec elle, alors que j'en éprouve de plus en plus les contraintes, notamment du fait du rythme de vie qu'elle impose, de la pollution, des indifférences et des dégradations… Bien conscient de cela, c'est dans la ville que j'ai choisi de faire ma retraite annuelle de huit jours.

En guise de monastère, je me suis trouvé une chambre dans une cité HLM à Saint-Denis, mise à ma disposition par la communauté jésuite qui réside là. Avec mon accompagnateur, j'ai fait le choix de l'encyclique Laudato si' pour rythmer mes journées de prière. Des passages des deux Testaments évoquant Sodome, Ninive, Babylone et Jérusalem sont venus compléter cela…

Chaque jour, je me rendais dans deux ou trois quartiers très différents, j'y assistais à des offices et à des messes avec les communautés locales. Le choix était vaste, entre une cité HLM du nord d'Aulnay-sous-Bois et le parvis de la Défense, ou entre la Porte de la Chapelle et le sixième arrondissement… Le froid aidant, je me suis souvent réfugié dans des lieux publics (gares, centres commerciaux…) propices pour contempler les personnes. J'ai en mémoire cette petite Rom, assise dans la rue à côté de sa mère et qui dessinait sur un cahier. Ou cet homme qui priait à genoux devant la porte fermée de la chapelle de la rue du Bac. Et tant d'autres encore…

De mes premières méditations, je garde surtout cette phrase de Laudato si' (n° 80) : « Dieu a voulu se limiter lui-même de quelque manière, en créant un monde qui a besoin de développement, où beaucoup de choses que nous considérons mauvaises, dangereuses ou sources de souffrances font en réalité partie des douleurs de l'enfantement qui nous stimulent à collaborer avec le Créateur. » Et si la ville était justement ce lieu qui, dans son imperfection même, m'invitait à travailler avec Lui ? Les jours qui suivirent furent alors l'occasion pour moi de chercher comment l'Esprit se logeait dans cette réalité complexe qu'est Paris. Où la Vie était-elle à l'œuvre en son sein ? J'ai pu alors commencer à entendre cette promesse, dans le livre de l'Apocalypse : « Elle est tombée Babylone la grande. […] Et la Cité sainte, la Jérusalem nouvelle, je la vis qui descendait du Ciel, d'auprès de Dieu. Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il demeurera avec eux. »

C'est ainsi que mon regard a progressivement changé. J'ai peu à peu cessé de voir avant tout les structures et les conditionnements urbains pour découvrir et considérer aussi ce corps social qui s'y loge. Un Corps qu'il m'a été donné de reconnaître en chacun de ces « membres souffrants de Jésus Christ », pour reprendre les mots de Bernanos. La réconciliation est à l'œuvre…