Et voilà ce qui donne à l'expérience limite de Dachau sa valeur universelle. Car c'est partout qu'il faut être prêt à vaincre une mort inutile au monde, ou ce qui en nous tient à ce monde : au moment le plus délicieux ou le plus efficace de l'existence, si l'on ne veut pas trahir l'œuvre humaine et la fermer sur soi au lieu de s'y donner. La vie féconde suppose ce risque total. Mais d'où viendra la force de ces seuls ouvriers possibles de l'avenir ? De cela et cela seulement qu'ils savent, au fond de chaque événement, reconnaître l'attente d'un Éternel présent qui donne sa réalité définitive et son sens absolu à l'instant dans lequel ils s'engagent. […] C'est leur force qu'il faut recevoir. […]

Chrétien, ne trahis pas ton message, unique et dernier salut, en oubliant l'effort de toute la terre vers son unité ; car c'est dans sa tension que Dieu s'insère et crée nos libertés. Tu as besoin des plans les plus vastes élaborés par tous les hommes, tu dois te porter aux plus fraternels pour te donner à Dieu à sa mesure et non selon l'idée toujours bornée que tu te fais de Lui. La fidélité à l'Homme t'oblige à découvrir non en toi, mais au sein de ses projets, de ses passions, de ses aventures, même pitoyables, l'appel qu'il ne sait pas discerner par lui-même. Et, s'il ne veut perdre la tête demain devant l'ampleur de ses réussites scientifiques ou l'échec de ses entreprises politiques, il lui faut pour jamais renoncer à la fausse certitude d'avoir trouvé, dans son passé et ses résultats, la formule d'un mieux définitif. Mais, pour s'en détacher, il ne lui suffit pas de se porter vers l'avenir, il l'imaginerait selon ses œuvres déjà achevées. Il n'est d'autre ressource pour lui que de se livrer à l'Éternel, à tout ce qui peut nous parler de Lui, en risquant la mort pour le salut de tous.

 

 

 

"Liberté à Dachau", Christus n°94, avril 1997, pp. 241-253,

repris dans La conditition inhumaine. Le camp de Dachau, nouvelle édition, Lessius, 2016.