Que sont les périphéries, là où l'Église a presque disparu ? C'est avec cette question qu'accompagné d'un compagnon, j'ai récemment passé une semaine dans une paroisse rurale, aux côtés d'une petite communauté chrétienne répartie sur un immense territoire. Mais, désireux de comprendre ce qui se vit dans cette région, nous avons voulu également rencontrer M. et Mme Tout-le-monde. Pour cela, nous avons décidé de marcher quelques jours et de frapper aux portes au hasard pour demander le couvert et l'hospitalité.

Le premier soir, nous avons sonné chez un couple d'anciens Parisiens à la recherche d'un nouveau mode de vie, qui nous ont reçus sans hésitation. Nous proposant une bière pour nous remettre de la marche, ils ont engagé la conversation sur ce que nous faisions. Nous leur avons alors expliqué que nous étions des religieux en vacances, d'où une réponse sans appel : « Nous, on est athées », et le mari d'ajouter : « Ce qui compte, c'est de savoir dire en quoi on croit. » Je lui ai alors proposé d'exprimer cela, pour lui. Sans réfléchir, il m'a dit : « Vous frappez, on vous accueille ; nous, on croit en ça ! »

Chaleureuse, la conversation s'est ensuite poursuivie autour d'un apéro, puis d'un dîner et enfin d'une tisane qui s'est terminée tard dans la nuit. À différents moments de la soirée revenait ce thème de l'accueil : tantôt, ils nous racontaient avec émotion des voyages ou des rencontres qui les avaient transformés ; tantôt, ils reconnaissaient des moments où, en dépassant leurs peurs, ils avaient fait des découvertes insoupçonnées. En fin de soirée, la femme a pris conscience d'une évolution qui s'était lentement produite en eux en une décennie, ce qui leur a permis de reconnaître leur point de départ : « Avant, on était un peu fermés », les tournants principaux de leur évolution, les peurs qui persistent et leur point d'arrivée : pratiquer l'hospitalité et croire en la rencontre.

Cette expérience de changement intérieur, je pourrais être tenté, en chrétien, de la nommer « conversion », d'en désigner le fruit par le nom de « charité hospitalière » et de qualifier la conversation que nous avons eue de « relecture de vie ». Mais ce qui importait n'était pas de baptiser a posteriori leur expérience pour leur montrer la proximité de notre croyance avec la leur et les inciter ainsi à participer à l'eucharistie dominicale, car ce qui nous a semblé produire du fruit à ce moment-là nous a paru être de reconnaître l'Esprit à l'œuvre en nos hôtes et d'accompagner son travail.

Quoique ne parlant pas explicitement de Dieu, notre conversation a donc été spirituelle car, en retraçant leur itinéraire, ils prenaient conscience de ce qui les constituait, ainsi que des forces qui les retenaient de pratiquer leur mission d'hospitalité. Mais, si eux, les non-chrétiens, étaient mus par l'Esprit, où était alors la périphérie ? Peut-être que c'est justement parce que nous étions affranchis de cette question de savoir qui est dedans et qui est dehors que nous avons pu entrer dans un dialogue véritable, dans lequel l'Esprit, mystérieusement, travaille le monde et son Église.