Les événements du Rwanda, avec la part prise par nombre de chrétiens, dont des prêtres, dans le massacre des Tutsis, ont conduit une nouvelle fois à s’interroger sur la capacité du christianisme à influencer la manière d’agir de ceux qui s’en réclament. Et on a vu remettre en avant le fait que bien des athées se conduisent infiniment mieux. Ces réactions d’étonnement, de peine et parfois de doute reposent sur une vision individualiste des effets du message chrétien : celui-ci influencerait chacun en fonction du degré de sa conversion personnelle au Christ, indépendamment de l’environnement au sein duquel il vit. Or cette vision rend mal compte de la réalité. Le message chrétien est toujours reçu et prend sens au sein d’une culture. Si authentique que soit la démarche de conversion dans laquelle un individu s’engage, la vision du monde qu’il reçoit de sa culture, avec les « évidences » dont elle est porteuse, ne change pas pour autant sur le champ. Certes, à la longue, le message chrétien agit sur ces « évidences », mais cela prend des siècles (et est loin d’être pleinement accompli dans les pays de vieille chrétienté).

La culture comme forme d’être au monde


La notion de culture fait problème. Tant que l’on s’en tient à des coutumes, des valeurs ou encore des identités, il paraît peu approprié, dans le monde mouvant qui est le nôtre, de parler de « culture », en entendant par là quelque chose de relativement stable et consistant. Mais, à l’expérience, on rencontre durablement dans chaque société quelque chose de souterrain et de résistant, qui échappe largement à la conscience des acteurs mais n’en marque que mieux leur rapport au monde 1. Dans chaque société, la manière de vivre ensemble est imprégnée par l’existence d’une catégorie particulière de situations qui donnent le sentiment d’une menace. Cette existence d’une zone d’expérience qui suscite trouble, inquiétude, angoisse, scande profondément le cours de l’existence. Elle influence la manière dont les événements, les situations, sont perçus et vécus. Un intérêt tout particulier est prêté à ce qui est susceptible d’évoquer soit ce qui inquiète, soit les voies permettant de s’y soustraire. L’opposition entre ces deux pôles structure une sorte de scène au sein de laquelle