Rabbi Moshé Leib de Sassov a dit un jour : « L'homme ne possède rien qui soit créé en vain : aucune faculté, aucune force. Rien de mauvais qui ne puisse être tourné en bien pour le service de Dieu. Ainsi l'orgueil, une fois sublimé, quand il parvient à se dépasser soi-même, devient une haute vertu de courage et d'ardeur sur la sainte voie. » Le rabbi va même jusqu'à affirmer que le reniement de Dieu peut, lui aussi, tourner en bien et servir au salut. Dans le présent article, nous aimerions nous concentrer en revanche sur une autre passion, souvent diabolisée : la colère.

Rabbi Leib fait preuve d'une sensibilité plus « catholique » – au sens universel et de vision intégrale, tel que la conçoit Simone Weil – que celui qu'ont bon nombre de catholiques. De nos jours, du moins en règle générale, le sentiment de colère est en effet un tabou pour les gens bien. On entend rarement parler de « saine colère ». Peut-être de nombreuses personnes ignorent-elles la « sainte colère » si présente dans les traités spirituels du passé, qui remonte aux apophtegmes des Pères du désert et plonge même ses racines dans la pensée de saint Paul et dans la description du visage de Dieu qu'offrent l'Ancien et le Nouveau Testaments.

Certains lecteurs ont peut-être froncé les sourcils en lisant « Nouveau Testament » parce que, par une sorte de magie, l'image de Dieu gravée dans leur esprit n'est qu'amour et tendresse, notamment celle d'un Dieu qui, en Jésus Christ, vient corriger l'image courroucée du Dieu vétérotestamentaire.

La vaccination de la parole biblique

Ce genre de tentation n'est pas chose nouvelle. Nous en trouvons des attestations jusque dans la tentative de Philon d'Alexandrie qui, voulant rendre le Dieu biblique plus présentable pour l'élite culturelle hellénistique d'Alexandrie, élimine les différentes références à la colère de Dieu dans l'Ancien Testament en en faisant des « arguments pédagogiques ». Pour présenter de manière simple la perspective embrassée par Philon, on peut dire qu'en réalité, Dieu n'a pas l'intention d'accomplir ce qui est énoncé sous forme de menace. Ces passages de l'Écriture ne parlent pas de Dieu, mais s'adressent à l'homme.

Il ne faut pas pour autant déprécier Philon, ni le fustiger. Sa tentative n'est pas malveillante. Il veut dissocier le vrai Dieu des faux dieux passionnels et fantasques. Le remède proposé – qui traversera les siècles, du « Moteur immobile » d'Aristote jusqu'à nos jours, en passant par la scolastique – consiste à nier le pathos en Dieu. Peu importe si les témoignages bibliques ne cessent de dire autre chose.

Revenons-en donc à la bonne intention de Philon et tentons d'aborder la question selon son optique. En scrutant les différentes mythologies anciennes, on y découvre effectivement un aspect récurrent : les divinités incarnent une large gamme d'émotions grossières et de passions indignes. Ce qui distingue les dieux, c'est en général un égoïsme aux proportions démesurées. Leurs passions sont humaines, trop humaines. Le pire aspect de l'anthropomorphisme consiste à les leur attribuer.

Le Panthéon regorge effectivement de figures victimes de leurs passions fatales. Les humains subissent la suprématie des divinités, non pas au nom d'une justice supérieure, mais à cause de la bassesse des valeurs qu'elles prônent. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que ceux qui avaient simplement défié les caprices divins, et qui n'étaient pas des êtres mauvais, aient été condamnés aux tourments éternels. On dit que les dieux étaient jaloux de la félicité des hommes. Sisyphe et Prométhée en sont des exemples éloquents. Et Pénélope supplie Ulysse de ne pas se mettre en colère contre elle parce que ce sont les dieux qui les ont fait souffrir tous deux, ces dieux qui ne tolèrent pas que les humains aient le bonheur d'aborder ensemble le seuil de la vieillesse.

Les philosophes antiques, et à leur suite Philon, ont effectué un travail prophétique de catharsis en dénonçant l'anthropomorphisme des conceptions mythologiques. Il n'est que de rappeler les célèbres paroles de Xénophane ironisant sur le visage vulgaire des divinités mythiques et faisant remarquer que les hommes croient que les dieux ont un corps semblable au leur. Sarcastique, il note que les Éthiopiens voient leurs dieux avec un nez noir et écrasé, tandis que les Thraces affirment qu'ils ont les yeux bleus et les cheveux roux. Et si les bœufs, les chevaux et les lions pouvaient représenter leurs dieux, ils les auraient faits à coup sûr à leur propre ressemblance.

Parce que les grands philosophes rejetaient les divinités anthropomorphiques, on a fait d'eux des impies. Lors du procès de Socrate, on l'a accusé de refuser de reconnaître les dieux d'Athènes et d'introduire des divinités nouvelles.

Or, pour les philosophes, le Premier Principe doit être parfait et souverain. Il ne doit pas être à la merci de quoi que ce soit, pas même des passions. Le dieu des philosophes est né ainsi par déduction à partir de l'idéal en vigueur de la perfection. C'est un principe absolu, parfait, un, unique, « a-pathique », c'est-à-dire libre des passions et n'ayant besoin de rien, ni de personne.

Malgré cette très bonne intention, on en arrive à un dieu aussi parfait que parfaitement indifférent et égoïste. Dans l'Éthique à Eudème, Aristote affirme : « Dieu, n'ayant besoin de rien, n'a pas besoin d'amis. » En tant qu'acte pur, son unique activité, c'est la pensée. Et sa seule pensée, c'est lui-même. La perfection de ce dieu apathique est telle qu'elle le rend intégralement égoïste. Il incarne l'idéal stoïcien, l'apatheia, l'imperturbabilité face à toute situation, parce que la perturbation ou le trouble est déséquilibre, souffrance et imperfection.

Dieu contre Dieu

Dans cette optique, la contribution de Philon (et de bien d'autres penseurs) s'avère insuffisante. Elle est pourtant bien meilleure que la dichotomie hérétique à laquelle adhèrent de si nombreux chrétiens : la séparation du Dieu de l'Ancien Testament de celui du Nouveau. Selon eux, Jésus, bon et totalement miséricordieux, est venu corriger et christianiser l'image indigne et imparfaite du Dieu vétérotestamentaire.

Naturellement, une telle position prend l'eau de tous côtés. En premier lieu parce qu'elle rejoint la très ancienne hérésie dualiste de Marcion, qui méconnaît le Dieu unique et différencie le Dieu de la tradition hébraïque, méchant, jaloux, colérique et géniteur du mal, et le Père infiniment bon de Jésus Christ, le Dieu du Nouveau Testament.

Marcion lui-même avait compris qu'étant donné la continuité entre l'ancienne et la nouvelle alliance, une distinction aussi nette n'était guère possible. En tirant profit du fait que le canon scripturaire n'était pas encore défini, il opéra un tri sévère entre les écrits néotestamentaires en éliminant une grande partie des évangiles et en maintenant quelques parties de Luc et de Paul.

Son geste nous relie à ce que j'entendais souligner en second lieu à propos de l'impossibilité de séparer nettement entre l'Ancien et le Nouveau Testaments. Saint Augustin le formule de manière incisive : « Le Nouveau (Testament) est caché dans l'Ancien et l'Ancien se manifeste dans le Nouveau » (« Novum in Vetere latet et in Novo Vetus patet »). Il y a une continuité logique, théologique et intentionnelle entre les deux, que Jésus lui-même souligne : « N'allez pas croire que je sois venu abolir la Loi et les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. Car je vous le dis, en vérité : avant que ne passent le ciel et la terre, pas un iota ou un seul menu trait ne passera de la Loi que tout ne soit réalisé » (Matthieu 5,17-18).

En troisième lieu, et il n'est pour ainsi dire pas nécessaire de le spécifier, le Père dont parle Jésus, à qui il s'adresse dans la prière, est précisément celui dont témoigne l'Écriture, celle-ci n'étant pour Jésus que le Tanakh (« Torah, Nevi'im et Ketouvim », soit le Pentateuque, les Prophètes et les Hagiographes ou autres écrits), à savoir ce que nous appelons Premier ou Ancien Testament. Selon Jésus, la nouvelle alliance accomplit la première et ne l'abolit pas, parce que Dieu est fidèle et ne manque pas à sa parole.

Pour en revenir donc à notre sujet, la tentative de dilution pédagogique comme celle, plus grave, d'élagage idéologique sont erronées. Une troisième voie est-elle possible ? Nous allons tenter, dans ce qui suit, de répondre à cette question.

Le pathos du Seigneur

La conception biblique de Dieu n'est pas une abstraction ou ne naît pas d'une généralisation, mais d'une expérience concrète et particulière. L'homme biblique n'accède pas à Dieu en théorisant, mais en vivant. Avant de concevoir Dieu comme Créateur, Israël l'a connu comme Sauveur, comme Dieu activement présent. Dieu n'est donc pas une idée lointaine : il est concret et proche.

Les prophètes semblent moins intéressés par la nature de Dieu que par son œuvre et la révélation de sa volonté. Sa présence est souvent bouleversante pour eux qui découvrent à quel point il s'intéresse à l'homme et à son peuple. La différence entre Lui et le dieu des philosophes est flagrante. Selon le théologien et penseur juif Abraham Joshua Heschel (1907-1972), « le dieu des philosophes est comme l'ananké grecque, inconnu et indifférent à l'égard de l'homme : il pense mais ne parle pas ; il est conscient de lui-même, mais oublieux du monde. Le Dieu d'Israël, en revanche, est un Dieu qui aime, un Dieu connu de l'homme, qui se préoccupe de lui. Il ne gouverne pas seulement le monde avec la majesté de son pouvoir et de sa sagesse, mais réagit intimement aux événements de l'Histoire ».

Si le discours sur l'indignité des passions des dieux se tient, qu'est-ce qui fait que les comportements du Dieu d'Israël sont dignes de Lui ? Heschel propose une distinction cruciale entre passions et pathos. Les passions sont des perturbations de l'esprit et des agitations de l'âme. Elles sont dépourvues d'un objectif raisonnable, aveugles et soustraites à la maîtrise de la volonté. Le pathos est tout le contraire. C'est un acte accompli intentionnellement, qui a une cohérence raisonnable et exprime un choix et une résolution volontaire. Il est important de noter qu'il ne fait pas partie des attributs divins, mais qu'il est déclenché par les actions de l'être humain.

Un autre aspect important du pathos divin est qu'il souligne la pro-existence de Dieu, c'est-à-dire le fait que Dieu s'intéresse à l'homme. Tandis que les passions que nous avons évoquées sont autoréférentielles et expriment l'égoïsme des divinités, le pathos reflète l'altruisme et donc l'amour du Dieu d'Israël. Non seulement il est digne de Dieu, mais il exprime aussi ce qui, dans le Nouveau Testament, se manifestera comme l'attribut divin fondamental : l'amour.

Évangéliser l'idée de Dieu

Redoutant de tomber dans l'anthropomorphisme, la philosophie a énoncé le théorème de l'apatheia, l'impassibilité divine, et a ainsi enchaîné Dieu dans l'immutabilitas, l'immutabilité. Dieu ne se met pas en colère, mais il ne peut non plus aimer, ni ressentir de la compassion. Bernard de Clairvaux, lui, a entrevu une voie moyenne. Le peu d'espace dont je dispose ici ne me permet pas d'éclairer le fondement philosophique de son option : « Impassibilis est Deus, sed non incompassibilis » (« Dieu ne peut pas souffrir, mais il peut compatir »).

À bien y regarder, le distinguo de saint Bernard « sauve » Dieu de la servitude des passions, mais aussi de la prison dorée de l'apatheia et permet d'entrevoir la nature même de Dieu qui transparaît lorsqu'il révèle son Nom et montre son visage de Dieu proche, d'Emmanuel (« Dieu avec nous »). Concernant cette proximité, nous disposons du célèbre passage du livre de l'Exode, où Dieu révèle son propre Nom, en passant devant Moïse sur la montagne : « YHWH ! Dieu miséricordieux [rahum] et compatissant [hanun], lent à la colère et riche en fidélité [hesed] et loyauté [‘emet] » (Ex 34,6).

En YHWH convergent sans contradiction deux grands thèmes : un amour viscéral et la colère, et il apparaît clairement que l'amour ne nie pas la colère pas plus que la colère ne nie l'amour. En somme, ce petit verset s'avère utile pour sortir du dilemme que nous essayons de résoudre.

L'amour et la colère peuvent-ils coexister ?

En révélant son Nom, Dieu commence par évoquer ce qui lui est le plus spécifique : Dieu est rahum (« tendresse »). Traduire ce terme par « miséricorde » serait réducteur. Thomas d'Aquin explique en effet que, si miseri-cors implique qu'on se soucie des miséreux (ce qui est certes une véritable qualité), rahum va bien au-delà.

Rahum dérive de rehem (rahamim au pluriel) et ne signifie rien de moins que le sein maternel, les entrailles maternelles qui protègent la vie et s'en émeuvent. Il est significatif que l'Ancien Testament, si attentif à la transcendance de Dieu (en contraste avec les divinités environnantes), au point d'en interdire toute sculpture ou représentation, ait trouvé dans la commotion des entrailles maternelles l'expression la plus apte à évoquer la miséricorde divine.

La connotation féminine et maternelle de rahamim montre le lien profond qui unit le Seigneur à son fidèle. C'est un lien viscéral et totalement gratuit, qui n'est pas fondé sur la logique de la récompense, à l'image précisément de l'amour d'une mère pour son bébé. Comme l'affirme le pape Jean Paul II dans son encyclique Sur la miséricorde divine (Dives in misericordia, 1980), « de cet amour, on peut dire qu'il est entièrement gratuit, qu'il n'est pas le fruit d'un mérite, et que, sous cet aspect, il constitue une nécessité intérieure : c'est une exigence du cœur ».

De la dimension maternelle naît spontanément l'autre caractéristique de la miséricorde gracieuse de Dieu, celle de hanan. L'adjectif « compatissant » (hanun) dérive du substantif hen. Hanan est généralement traduit par « tendresse » et est utilisé pour parler de Dieu qui s'apitoie sur l'homme et se penche sur lui pour lui exprimer sa bienveillance et son soutien. Cette grâce révèle la condescendance divine envers la petitesse de l'être humain.

Quant au mot hesed, il est très riche et implique, selon François Varillon, toute une gamme de sens variés à propos de la relation fidèle du Seigneur envers son peuple. On y trouve à la fois la bonté, la gratuité de l'amitié, l'élection préférentielle, mais aussi le désir de réciprocité. Ce n'est pas par hasard que hesed est considéré comme le terme évocateur de l'aspect paternel de la miséricorde divine. La gratuité de l'amour paternel de Dieu est pour ainsi dire « ambitieuse » ; elle désire ardemment que la personne aimée accède à la réalisation et à l'épanouissement de tout son être. Ce n'est pas une bienveillance calculatrice, mais elle est exigeante. C'est l'exact contraire de certaines conceptions d'une miséricorde à l'eau de rose qui ne génère pas des fils vertueux, mais corrompus et peu convaincants.

Cependant, après ces trois attributs précieux d'un Dieu d'amour, le verset biblique en question introduit ce qui pourrait apparaître comme une note discordante : la colère. L'amour viscéral et la colère se trouvent côte à côte. Ce qui est le plus difficile à accepter, c'est que ces deux dimensions coexistent en Dieu. De quelle colère s'agit-il ? Et comment se configure sa coexistence avec l'amour ?

La bienveillante colère de Dieu !

En en revenant aux Anciens, nous découvrons que la colère représente un mouvement irascible de l'âme qui rapproche l'homme des animaux, une impulsion qui pousse souvent à commettre des actes irrationnels et disproportionnés. Cette colère-là est naturellement indigne de Dieu. Mais comment faut-il alors la concevoir ?

Heschel considère la colère comme un aspect du pathos divin « caractérisé par la corrélation entre amour et haine, entre miséricorde et justice ». Le grand philosophe juif fait remarquer que « tant que la colère divine est abordée à la lumière de la psychologie des passions, et non à celle de la théologie du pathos, il est impossible de bien la comprendre. » Notons aussi que l'ire de Dieu ne ressemble pas à la colère arbitraire et incontrôlée des divinités mythologiques, mais qu'elle se manifeste comme une réaction consciente et volontaire à l'injustice et à l'oppression des pauvres.

Nous avons vu qu'il serait tentant de se débarrasser de la colère comme simple dimension pédagogique et allégorique. Il est fondamental en revanche d'en percevoir la profonde portée théologique. La colère de Dieu naît de son amour et ne le contredit pas. « Tu ne molesteras pas l'étranger, ni ne l'opprimeras, car vous-mêmes avez été étrangers dans le pays d'Égypte. Vous ne maltraiterez pas une veuve, ni un orphelin. Si tu le maltraites et qu'il crie vers moi, j'écouterai son cri, ma colère s'enflammera et je vous ferai périr par l'épée. » (Exode 22,20-23.) Dieu serait complice du mal, il ne serait pas amour, s'il demeurait indifférent au mal et à l'injustice. Sa colère contre le mal vient de sa bonté même et du refus de la méchanceté. Qui ne dit mot consent. Face au mal, Dieu ne reste pas muet.

Une autre caractéristique de la colère divine est d'être circonscrite et passagère. Dieu ne s'y complaît pas, mais la vit comme une « lamentation » contre le mal pour le limiter et l'anéantir. Son ire est le gémissement de son Esprit d'amour. En ce sens, elle est instrumentale. Dieu l'annonce d'avance, précisément pour ne pas avoir à y recourir. « L'appel de la colère, écrit Heschel, est un appel à l'annulation de la colère. » Le récit de Jonas en est un grand exemple. Dieu envoie le prophète pour annoncer la destruction de Ninive. En réalité, l'annonce de la colère vise la repentance et, si elle commence à porter ses fruits, le Seigneur l'abandonne.

Mais Jonas, tout en sachant dès le départ que les habitants de Ninive seraient pardonnés s'ils se repentaient, a du mal à comprendre le cœur du Seigneur et manifeste son dépit : « Ah ! YHWH, n'est-ce point là ce que je disais lorsque j'étais encore dans mon pays ?… Je savais que tu es un Dieu de pitié et de tendresse, lent à la colère, riche en grâce et te repentant du mal » (Jonas 4,2). Sa prophétie ne s'étant pas réalisée, Jonas considère qu'il a échoué et exprime le désir de mourir : « Maintenant, YHWH, prends donc ma vie, car mieux vaut pour moi mourir que vivre. » Le Seigneur tente de lui faire comprendre la miséricorde divine par le truchement du ricin qu'il fait croître au-dessus de sa tête afin qu'elle soit à l'ombre, pour le faire manger ensuite, en très peu de temps, par un ver. Il dit au prophète en colère : « Toi, tu as de la peine pour ce ricin, qui ne t'a coûté aucun travail et que tu n'as pas fait grandir, qui a poussé en une nuit et en une nuit a péri. Et moi, je ne serais pas en peine pour Ninive, la grande ville, où il y a plus de cent mille êtres humains qui ne distinguent pas leur droite de leur gauche, ainsi qu'une foule d'animaux ! » (Jonas 4,10-11.)

Le Seigneur est « lent à la colère », « sa colère est d'un instant », tandis que « sa faveur est pour la vie » (Psaumes 30 [29], 6). Le psaume 136 (135), connu comme le « grand Hallel », est scandé par le refrain « car éternel est son amour [hesdo] ». L'exercice de la miséricorde est l'expression de la grandeur de Dieu et même, selon Irénée de Lyon, « propre à Dieu ». Dieu est véritablement lui-même quand il est miséricordieux. « Le propre de Dieu est d'exercer la miséricorde, et c'est par là surtout que se manifeste sa toute-puissance. » (Traité de la charité de Thomas d'Aquin.) Même à travers les accents de la colère, l'Ancien Testament témoigne du primat et de la fiabilité de la miséricorde du Seigneur.

Comment bien comprendre la colère de Dieu ? Il n'est pas besoin de l'allégoriser, ni de la diaboliser. Il s'agit de la concevoir selon l'atténuation impliquée dans la « lenteur à se mettre en colère » que nous venons d'explorer brièvement. Évoquons, pour conclure, un excellent critère de discernement : il faut toujours se rappeler que « tous les attributs de Dieu sont des attributs de l'amour ». Cette heureuse formule due à François Varillon doit être un critère herméneutique permettant d'interpréter tous les actes de Dieu : Dieu est tout-puissant dans le sens où son amour est tout-puissant ; pareillement, il se met en colère parce que l'amour se met en colère, prend soin des êtres et ne peut jamais être apathique, ni indifférent.