Introd. et trad. A. Uinarès. Cerf, coll. « Sagesses chrétiennes », 1998, 204 p., 145 F.

De quelque côté qu'on le regarde, Raymond Lulle (1232-1316) a tous les traits du génie, son oeuvre profiise, généreuse, couvrant aussi bien la philosophie, la théologie que la mystique. De plus, il survient à un moment propice pour exercer ses immenses talents. L'ère des croisades étant révolue, des moyens exclusivement spirituels, en effet, sont désormais requis afin de convertir les musulmans. Lulle n'hésite pas alors à quitter femme et enfants pour fonder à Majorque, avec la bénédiction papale, un collège dédié à l'étude du Coran, dont il s'agit autant de vanter les beautés que de prouver le caractère exclusivement profane. Cette lourde responsabilité, toutefois, ne l'empêche pas de voyager sans cesse dans tout le bassin méditerranéen pour y prêcher et enseigner — jusqu'à en mourir lapidé.
Constituées de dialogues, comme la plupart des écrits de Lulle, ses poésies recueillent une multitude de colloques intérieurs. Du troubadour qu'il fut, il a conservé le mordant du redresseur de torts, seul contre tous. Farouche apologète, il veut emporter coûte que coûte la conviction. D'où ses nombreux dépits qu'il exprime tantôt à la Vierge compréhensive, tantôt à un ermite dubitatif. Chez lui, même le plus grand désarroi doit se muer en dynamique pour pousser tout bon chrétien, par exemple, à aller délivrer le Saint-Sépulcre. S'il est prompt à reconnaître ses péchés, il l'est bien davantage à se plaindre de n'être point reconnu à sa juste valeur... Pénétrer la religion d'un homme du Moyen Age est toujours un peu déconcertant. Mais Lulle est doué d'une telle énergie spirituelle qu'il nous fait survoler avec fruit jusqu'à ses tirades les plus rebutantes.