Il est bon de réentendre (pour s'en étonner encore) l'appel premier de Dieu à l'homme, tel qu'il s'exprime dans la Genèse : « Viens à la vie ! » Ou dans le Deutéronome : « Choisis la vie ! » Que cet appel s'exprime constamment dans la Bible à travers les images de l'arbre, du fruit et de la fructification est une évidence qu'Anne Lécu nous invite à regarder de plus près. Le parcours qu'elle propose suit l'histoire du salut depuis le jardin de la Genèse jusqu'à l'Apocalypse, sans jamais quitter du regard Jésus aimant l'humanité sur l'arbre de la Croix. Elle interroge les notions de fertilité, de multiplication, de propriété, de consommation ou de dévoration comme déposées au creux des figuiers, des vignes et des épis de blé dont la Bible regorge. L'inépuisable richesse de ces récits choisis parmi les « incontournables » (le figuier stérile, les vignerons homicides) comme parmi les plus discrets (la mort d'Uzza dans le deuxième livre de Samuel) révèle le caractère central de ce fait de nature, le fruit, qui est aussi (qui est par conséquent) une réalité spirituelle. Sans relâche, l'auteure nous fait revenir aux expériences premières de la vie « naturelle », une vie reçue des parents, dépendante des productions de la terre, une vie tenue à la patience par le temps. Dieu s'y fait déjà connaître. Si la vie spirituelle se détache de la contemplation de cette « logique d'accomplissement » qui veut que « le fruit porte en lui sa semence, cachée », et que « la semence porte en elle son avenir, caché lui aussi », elle dépérit. Anne Lécu nous apprend ainsi comment recevoir les métaphores de la Parole, comment entamer la surface de mots familiers comme vitrifiés par l'usage. La lecture renversante qu'elle fait de l'histoire de Zachée, par exemple, en fait un récit absolument nouveau. C'est une autre des nombreuses leçons spirituelles de ce livre : la Parole ne s'admire pas comme une nature morte, elle se mange comme un fruit. La démarche exégétique est en effet ici indissociable de la transmission d'une expérience mûrie de la vie spirituelle : expérience d'une autre, qui fructifiera en nous « en son temps », sans que l'impatience y fasse rien ! Anne Lécu développe également, au fil des chapitres, une réflexion pastorale sur la façon dont l'Église, aujourd'hui, peut encore recevoir les fruits de l'Esprit si elle évite l'écueil de la multiplication vaine et s'emploie avant toute chose à porter le fruit de justice, « le bon fruit [qui] nourrit ceux qui sont dehors, au seuil, en attente ». Recevoir, consommer et donner, tel est bien le mouvement primordial et toujours recommencé de la fructification : « Le fruit se reçoit, il se mange, il se donne. » Ou encore : « Fructifier, c'est recevoir la vie d'ailleurs, de Dieu qui seul donne de la donner. »