Un écrivain peut en cacher un autre et le sinologue Benoît Vermander, jésuite à l'oeuvre savante et inspirée, manifeste dans ce recueil d'admirables dons de poète :
 A terre et à planter, publié en 2010 chez DDB, regorge de méditations subtiles, d'images graves et de paysages ravissants à la frontière du songe et du voyage géographique. Il foisonne aussi en fulgurances proprement théologiques reliant avec simplicité et légèreté l'expérience de Dieu à la vérité de la chair, de la parole et du mouvement : une pure dépense de l'être et de soi est promise à qui veut bien se mettre à l'écoute du monde et de son perpétuel enfantement de parole.

 

 

 

En voici quelques fragments où affleurent avec netteté l'un des fils rouges du recueil : le jeu de furet du silence et de l'expression, l'infinie course-poursuite du langage et du réel. Le poète ne s'est pas plutôt émerveillé du miracle des mots qu'il sait aussitôt se déprendre de leur sortilège pour nous faire entrevoir une liberté, « un mot sacrement » qui efface le langage en l'accomplissant parfaitement :

(extraits du poème intitulé Un mot)
« J'avais captifs en moi la montagne et l'abricotier
Les sonnailles d'invisibles troupeaux
La mort du nuage empalé sur l'arbre
La branche enchevelée de vent.

Un mot a frappé plus avant
A ricoché plus loin a cassé plus tranchant
Un mot grave un mot sacrement
Un mot aigu un mot enfant »


 

Une telle poésie sait nommer les éléments les plus palpables, l'eau, le souffle, le feu, l'argile de façon à laisser deviner leur imprononçable origine. La rime recrée le langage, lui redonne par l'assomption de sa musique une familiarité avec les êtres et les choses qui révèle une solidarité indéchirable entre l'homme et la Création qu'il habite:
 

(in Poème pour l'été)

« Avale le vent alors qu'il t'avale
Allant avec lui vers où lui seul sait
Avale en son grain la volée de sable
Qu'il prit au désert pour en toi l'enter.

Avale le vent, avale le sable
Puis mâche les mots dont ils sont lestés.
Avale le feu dont ce jour te sale
Pour trouver de nuit où passer à gué.

Sans bois ni fourrés fais lever la flamme,
Qu'au cœur déserté monte un pur brasier.
Que le vent, le feu, le vide et le sable
Te soient source et vigne, étoile et rosier. »

Claude Tuduri, sj

A taire et à planter, B.Vermander, Desclée de Brouwer, Paris, août 2010.