Éd. B. Cuisinier et J.-F. Six. Nouvelle Cité, coll. « Spiritualités », 2010, 440 p., 23 euros.

Publiée pour la première fois en 1957 et depuis longtemps épuisée, la correspondance entre Foucauld et le vicaire de Saint-Augustin, qui fut son père spirituel depuis sa conversion jusqu’à son installation parmi les Touaregs, est heureusement rééditée. Elle est enrichie et renouvelée par une copieuse introduction et un texte conjonctif qui éclaire chacune des lettres. Cette correspondance, en dépit de ses lacunes, demeure indispensable pour saisir sur le vif la personnalité de Charles et les impressionnants méandres par lesquels est passée la découverte progressive de sa vraie vocation, de la Trappe Notre-Dames-des-Neiges en Ardèche jusqu’à Tamanrasset.
On ne sait ce qu’il faut admirer le plus : l’humble entêtement de frère Charles à essayer de faire prévaloir ce qu’il pense être en lui les appels successifs de l’Esprit, dans une parfaite loyauté et une docilité de fond à l’égard de ses supérieurs, ou l’inusable patience de son père spirituel, souvent déconcerté par des revirements inattendus et des illuminations parfois loufoques.
Huvelin avait d’abord imaginé que Charles ferait un excellent père de famille chrétien. Il a dû accepter de le voir entrer à la Trappe, puis fuir le sacerdoce, puis quitter la Trappe, puis rechercher le sacerdoce, puis se vouloir missionnaire-ermite « en mission spéciale », et enfin frère des Touaregs. Avec Charles, il y avait de quoi perdre son latin ! Mais à dirigé exceptionnel, directeur exceptionnel. Ancien normalien, l’abbé Huvelin avait refusé d’enseigner à l’Institut catholique pour être au contact des chrétiens de base. À l’humilité, il joignait un art exceptionnel du discernement spirituel. Il savait que la foi est la première vertu de l’accompagnateur. Il a toujours cru en Charles, et surtout en l’Esprit Saint. Il a su faire confiance. Mais s’il est un point sur lequel il n’a jamais varié, c’est dans cette consigne à Charles, longtemps obsédé par la hantise de fonder un nouvel ordre religieux qui, lui, serait parfaitement évangélique : surtout, ne fondez pas ! Il avait compris que Foucauld pouvait être un merveilleux inspirateur évangélique, puisqu’il respirait l’Évangile comme François d’Assise. Mais il avait aussi compris qu’il serait un supérieur désastreux, qui risquait de traiter les autres aussi sauvagement qu’il lui arrivait de se traiter lui-même.
Comme dans toute relation de direction spirituelle intense, on peut s’interroger : qui est le maître et qui est le disciple ? L’art de la direction spirituelle ne s’enseigne pas. Mais il est des expériences qui y préparent mieux que d’autres. La lecture de cette correspondance en fait partie.