Christus : Qu’est-ce que le sentiment océanique ?
Jacques Arènes :
C’est l’écrivain Romain Rolland qui en parle à Sigmund Freud après avoir lu L’avenir d’une illusion (1927). Freud a analysé les religions en laissant complètement de côté, selon  Rolland, un point crucial de l’expérience religieuse : le sentiment océanique. En effet, dans cet ouvrage, Freud parle principalement de la religion comme vecteur de protection de la culture ; ce sont, en effet, les contraintes et renoncements religieux (interdits, limites…) qui permettent à l’être humain d’« entrer en culture ». Sa vision du religieux est donc très sociétale et liée à l’éthique culturelle. Elle comporte aussi une composante de réassurance devant la détresse issue de la vulnérabilité humaine. Le « sentiment océanique » n’est pas son problème. En revanche, c’est celui de Rolland, qui s’intéresse aux spiritualités asiatiques et qui est aussi rattaché à ce mouvement qui tente de réhabiliter une certaine forme de mystique ou de spiritualité éloignée du religieux. Contrairement à Freud qui est davantage intéressé par le religieux que par la spiritualité.

 Indifférenciation et plaisir


Christus : Et Freud lui répond-il ?
J. Arènes :
Oui, il lui répond dans Le malaise dans la culture (1930), sans citer le nom de Romain Rolland (« un ami que j’honore »). Pour Freud, le « sentiment océanique » n’est pas central dans l’expérience religieuse, ni donné à tout le monde : « A-t-on le droit de considérer ce sentiment océanique comme la source de tout besoin religieux ?