Cet extraordinaire petit livre sur l'événement de vie, c'est-à-dire sur la naissance à la vie que peut être la fin de la vie, honore tout particulièrement le titre de la collection auquel ces paroles appartiennent : « au singulier ». Si la mort semble dépouiller le mourant de ce qui le rend unique (sa vie même), en le mettant face à l'expérience brutalement universelle des adieux à la vie, c'est pourtant toujours « au singulier » que devrait se faire le grand passage. Hideko Suzuki, religieuse du Sacré-Cœur, nous fait suivre les pas de Madame Shion Ohara, de qui elle a beaucoup appris dans l'accompagnement des personnes confrontées à leur mort prochaine. Chaque chapitre rend compte avec une grande précision des circonstances de quelques-unes de ces rencontres : pas seulement le parcours de vie de ces personnes, les souvenirs qu'ils chérissent, leurs douleurs présentes et les fautes avec lesquelles leur conscience et leur corps se débattent, mais aussi les gestes posés sur eux, un oreiller remonté, une main tenue, deux respirations accordées. C'est par des gestes choisis, médités, que la parole advient. Nous entrons dans ce grand mystère qui fait de l'agonie une naissance à soi, en accompagnant l'entêté Monsieur Sudo qui, par son alcoolisme, a abandonné sa femme et ses filles, ou la religieuse vouée à la mission qui se rend compte qu'elle n'a agi et été joyeuse que par sentiment du devoir et qui désire « continuer à croire par-delà les ténèbres du cœur ». L'attention au toucher de la vie révèle une conviction qui déborde l'exigence du soin, mais qui lui donne tout son sens : « J'assistais là au processus d'intégration humaine où l'acceptation conjointe des lumières et des ténèbres de la vie mène à l'accomplissement de soi. » La position de retrait d'Hideko Suzuki, qui relate et éclaire pour nous l'œuvre d'écoute et d'accompagnement de Madame Ohara, est en harmonie avec l'atmosphère de minutie et de silence respectueux qui naît pour nous de la culture japonaise baignant le récit. Cette retenue générale, des mourants comme de ceux qui sont à leurs côtés, semble être la condition de ces paroles ultimes, vitales. On se demande alors : notre propre culture de la parole et du geste, notre rapport au temps permettent-ils ces instants libérateurs où une vie peut prendre sens parce que son achèvement ouvre une porte vers soi ? Il ne faut pas négliger la force d'ébranlement de cet écart culturel. On a rarement l'occasion d'apprendre ce que signifie vraiment la victoire du Christ, Verbe fait chair, sur le péché et sur la mort. Ce livre nous l'enseigne et nous montre ce que fait la grâce : « Pour un être humain, quel qu'il soit, ce qu'il y a de plus négatif, la plus grande tache de sa vie, peut se transformer au dernier instant et devenir positif. »