« La marche fouette le sang, attise la vitalité et chasse les idées noires. Elle communique un surplus d'être. » Nous voici donc avertis : au-delà d'un récit de voyage (un de plus, serait-on tenté d'écrire, tant le genre est à la mode) au travers du Massif central, c'est bien une expérience spirituelle qu'il s'agit de partager avec le lecteur. À l'origine de l'aventure, une étape inscrite au calendrier du noviciat de la Compagnie de Jésus : le « mois mendiant », un exercice à mi-chemin entre pèlerinage et vagabondage, au cours duquel les participants (ici, ils sont deux) doivent se procurer gîte et couvert quotidiens à la grâce de Dieu… et surtout des rencontres. Cela commence donc par le physique : une marche de sept cents kilomètres entre Charente et Ardèche, au travers de contrées saisissantes et de territoires en déshérence, nécessitant endurance et résistance (à l'effort, à l'inconfort, à la faim, etc.), alors que « l'immersion dans l'univers sauvage réveille en nous des forces instinctives, des réflexes oubliés ». Puis viennent les pensées « que l'on contemple », sur fond de paysages qui n'en sont qu'un « vague écrin ». Même si « le vrai mode de la pensée est le discontinu, le fragmentaire, le non-linéaire », tout cela s'articule autour de maîtres (à penser !) que sont Arthur Rimbaud et Charles de Foucauld, « deux figures abrahamiques ». Sans oublier L'imitation de Jésus Christ, ainsi dépoussiérée pour notre plus grand plaisir, et de nombreuses autres ressources, plus littéraires, dont l'accumulation peut parfois peser sur la lecture. Pensées inspirées donc, au gré aussi des rencontres « intenses sans doute parce qu'elles sont sans lendemain », donnant lieu à de savoureux portraits, y compris celles des vaches qui « ouvrent à une autre temporalité ». C'est alors que surgit l'ouverture vers le « chaos intérieur », le « désert de l'existence », véritables destinations de ce voyage sans retour. Avec ces questions vocationnelles, voire existentielles, à la clé : qui suis-je vraiment ? Quel est mon désir ? On laissera le lecteur soulever le couvercle de cette marmite bien plus bouillonnante qu'un volcan d'Auvergne, fût-il « majestueux », au détour de ce chemin somme toute très ignatien et qui s'achève sur cette espérance : « La Terre promise est devant nous. »