Voir, ou l’évènement d’une guérison. (Jn 9)

L’Evangile du 4° dimanche de Carême nous met dans l’entourage d’un homme aveugle depuis sa naissance et qui mendie sa vie. Mais au lieu de lui donner une aumône qui le  maintiendrait  dans la cécité et l’exclusion, Jésus lui rend la vue qui l’intègre de manière nouvelle dans la communauté. Ce qui provoque la colère des pharisiens car la guérison a lieu un jour de sabbat. Sortir de l’aveuglement pour voir les œuvres de Dieu est un chemin de guérison intérieure que Jésus nous invite à faire à sa suite.

 

  1. Voir d’abord les œuvres de Dieu. C’est à la lumière de la bonté de Dieu que peut se révéler le péché dans toute la malice qu’il répand dans nos cœurs et nos sens. A l’inverse, ne voir d’abord que la faute pour rechercher les coupables fait l’obscurité sur les profondeurs complexes du cœur humain et sur nos complicités  avec le mal, comme dans l’épisode de la femme adultère qui précède l’aveugle-né (cf Jn 8). Plus encore, cette attitude empêche de voir dans le plus petit geste de soin ou l’attention la plus humble,  un signe d’espérance et de foi dans un salut possible, comme si tout mal était une fatalité insurmontable.

Entendre ces mots de Jésus « c’est pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui », nous dispose intérieurement à accueillir toute personne blessée par un mal comme quelqu’un qui attire le regard et l’attention de Dieu, qui appelle son salut. Le Carême est un temps qui invite à s’en rendre proche et solidaire, à  voir ces personnes  de manière juste à la lumière de Dieu, pour nous regarder nous aussi en vérité.

 

  1. Abandonner ses certitudes pour reconnaître le Christ, Dieu au milieu de nous. Le Christ vient à nous « comme un voleur », et c’est bien le cas ici, comme l’a exprimé Michel de Certeau dans une lecture très suggestive de ce passage d’évangile. Il vient comme un voleur non seulement parce que le moment de sa venue est imprévisible, mais parce qu’il nous dérobe ce qui nous aveugle et nous empêche de le reconnaître là où il est présent et agissant : nos certitudes, nos idées toutes faites sur Dieu, sur les hommes, sur le mal et le salut. Il vole ainsi la certitude de l’aveugle et de ses parents qui ne voient que fatalité dans ce qui l’atteint ; celle des disciples qui cherchent le coupable, le pécheur ; celle des pharisiens qui ne voient qu’imposture dans une guérison dont l’auteur transgresse la loi.

Le Christ ravit nos certitudes, il les fait craquer au-dedans de nous pour ouvrir nos sens à sa présence toujours nouvelle. Comme à l’aveugle-né, il nous met de la boue sur les yeux, il nous met dans la nuit pour nous mettre à son écoute, pour nous ravir en lui. Un passage par l’aveuglement et la nuit de l’incertitude peut être nécessaire pour entrer dans une vie nouvelle, un regard et une manière d’aimer nouveaux. Comme saint Paul à sa conversion. Où suis-je aveugle aujourd’hui ? Où ai-je besoin de la boue et de la parole de Jésus pour voir autrement, plus justement ?

 

  1. Notre liberté est en jeu et engage le salut de Dieu: à partir de cette expérience, nous pouvons consentir à cette écoute inédite qui fonde un regard neuf et vrai – je ne voyais pas, je vois –. Nous pouvons alors nous engager dans un chemin et une histoire dont nous ne maitrisons ni le déroulement ni l’avenir. Car il sera fait de rencontres imprévisibles et fécondes avec d’autres aveugles, d’autres mendiants de la vie de Dieu, avec des boiteux et des paralysés aussi, et bien d’autres conscients de leurs imperfections pour chercher ensemble, tous sens ouverts  dans l’écoute et le discernement,  le chemin d’une vie plus simple, plus fraternelle, vivant de la miséricorde du Seigneur. Mais nous pouvons aussi comme les pharisiens nous enfermer dans l’arrogance et les certitudes  qui nous donnent souvent pouvoir ou prestige sur les autres. Au risque d’entendre : « vous dites : nous voyons ! Votre péché demeure. »

Où nous conduit aujourd’hui l’aveugle-né ? Quel aveuglement, quelle fermeture du cœur me donne-t-il à voir, à ouvrir ? Quelle parole, quel regard d’autrui, du prochain, me sauve aujourd’hui de mon aveuglement en m’ouvrant à d’autres aveugles ? Où ai-je besoin de guérir intérieurement, pour que ni « la communauté » ni « la joie de l’Evangile ne nous soient volées ? »

 

Bonne semaine !

 

On pourra lire ou relire avec profit l’article de M. de Certeau Comme un voleur paru dans Christus n° 45 (janvier 1965), et repris dans L’étranger ou l’union dans la différence, DDB, Paris, 1991.