Il est logique de développer aujourd’hui un goût prononcé pour le simple. Nous vivons dans des sociétés de plus en plus complexes, que cela concerne notre vie quotidienne (ordinateurs, automobiles, etc.) ou le domaine des savoirs (économie, physique quantique, etc.). La conscience de ces complexités entraîne souvent des sentiments de perte de contrôle, d’impuissance à comprendre le monde et à agir sur lui. D’où l’appel du simple dans nos esprits. Mais le simple existe-t-il vraiment (Christophe André) ?

Si la recherche d’une plus grande simplicité dans la vie et l’organisation sociale s’impose, le risque est réel de céder à ce que Bergson appelait justement « la frénésie des extrêmes ». En basculant dans un simplisme qui éviterait d’avoir prise sur une réalité jugée trop opaque, on se priverait d’une complexité qui donne aussi une puissance inouïe aux gestes les plus évangéliques. Et plus encore d’une sagesse comme celle de la Bible : en accueillant l’imprévu comme un don, elle l’ouvre à l’imagination et à la créativité des hommes (Dominique Greiner). Mais on fait aussi l’expérience inconfortable de rencontres où la complexité des jargons pousse à une complaisance en même temps qu’à l’opacité. Toute conversation vraie est alors exclue, celle où passent les émotions, celle où l’on se dévoile simplement les uns aux autres, « petite musique » que l’Écriture donne à entendre (Christophe Langlois). Pour être vécue comme un matin nouveau, la simplicité nous fait tendre à être pleinement humains : nous ne sommes vraiment accordés à nous-mêmes qu’en acceptant les médiations qui nous relient les uns aux autres au sein d’un projet de vie. Deux pas sans cesse à franchir pour cela : celui du respect des exigences éthiques qui permet la vie sociale, celui du dépassement politique de la violence dans la recherche de la vie commune y compris avec l’ennemi (Chantal Amiot).
En Jésus Christ, la simplicité atteint un dénuement total qui se donne à contempler dans le lavement des pieds et la nudité de la Croix. Celle-ci met à nu toute la barbarie qui peut habiter la complexité des organisations sociales, politiques, religieuses même. Mais elle nous révèle plus encore à quel point le Christ nous attache à lui : nous pouvons prendre de lui ce que nous voulons, et continuer à faire comme lui, en sa mémoire (Dolores Aleixandre). L’écrivain Pierre Michon consacre justement sa verve littéraire à rendre justice à la liberté spirituelle des « gens de rien », à travers la beauté de tel ou tel trait du destin de « vies minuscules » vouées d’ordinaire au silence, à l’oubli, au « besoin économique » dans le meilleur (ou le pire) des cas (Claude Tuduri). La voie du Christ s’offre à tous sans exception comme une école de simplicité et d’humilité, qui touche d’abord le cœur, le désir de chacun. Pas de vie simple sans homme simple, à la manière de Jésus, des disciples, des saints : chercher et accomplir dans toute sa vie ce qui donne davantage chair et avenir à l’amour de Dieu. Cela nous unifie intérieurement, petit à petit, soutenus par la joie spontanée de l’enfant qui renaît alors en nous (Remi de Maindreville).

Pour trouver réalité, une société plus simple appelle un discernement constant : des organisations, des productions, des processus techniques coûteux peuvent être simplifiés et « décroître », au profit d’une heureuse complexification des échanges entre les hommes et d’une « croissance » humaine. Cette perspective suscite bien des peurs à combattre, celle de la pauvreté au premier chef (Arnaud du Crest).

Dans ce qu’elle a d’irréversible, la complexité est en même temps le lieu paradoxal où l’unité et la cohérence des hommes et du monde se donnent à sentir et pressentir. C’est ainsi qu’un groupe de chercheurs relit son expérience de vie commune sur les traces de Teilhard en Mongolie, célébration d’une simplicité que le voyage avait parfois permis de goûter pour qu’en demeurent la mémoire et le désir (Benoît Vermander).