Pendant longtemps, l’entreprise missionnaire n’a distingué que malaisément la foi qu’elle annonçait de la civilisation dont elle provenait. Elle a pu ainsi contribuer à détruire les fidélités et les sensibilités ancestrales des populations qu’elle rencontrait, alors même que l’Évangile commence par replacer Jésus dans une longue généalogie. L’auteur livre ici quelques réflexions, fruits de sa rencontre avec des populations autochtones de l’Asie du Sud-Est et du Pacifique.

C’est le 5 février qu’en cette année 2019 l’on fêta le Nouvel An lunaire chinois et, du même coup, le têt vietnamien. Quelques jours après, je me trouvais dans un village situé à une soixantaine de kilomètres au nord-ouest de Hanoï, dans une région de collines habitée par des membres de la minorité Muong. Je ne m’y trouvais pas pour les festivités qui marquent le premier mois lunaire, mais pour observer le début des travaux dans les rizières1. J’eus le privilège de loger toute une semaine dans la maison d’une des familles du village. Dans la grande salle commune où nos nattes étaient déroulées pour la nuit, se dressaient un lourd buffet et, presque adossé à lui, un meuble de proportion plus modeste, l’un et l’autre composant l’autel des ancêtres de la famille Bui.

L’autel et la mémoire

Sur le coin le plus reculé du buffet, un emplacement vide, mais un récipient à encens montrait bien que ce vide signait une présence. Et puis deux photographies, celles du père et de la mère du mari de la maîtresse de maison, une femme âgée de soixante à soixante-dix ans, mère de sept enfants,