Cette fin d’année est coléreuse et le Prince de la Paix vient renaître en climat de violence, d’inquiétude, de désarroi devant un avenir impensable pour beaucoup. Aveugle et sourde, la colère se nourrit d’elle-même et tout appel à la raison la renforce, tandis que sur les ronds-points un vivre ensemble improbable et étonnant réchauffe des cœurs  et maintient l’ardeur.  Quel avenir ?

 

C’était déjà la colère qui habitait le cœur de Caïn, le premier fils d’Adam et Eve dans la Bible. Les évènements que nous vivons jettent peut-être une lumière inattendue sur cette vieille histoire qui nous raconte à son tour quelque chose d’aujourd’hui. Avant d’être ce frère à l’œil jaloux et meurtrier inscrit dans notre mémoire comme un triste repère, Caïn est un homme qui tire d’une terre difficile des fruits qu’il donne en sacrifices. Mais ceux-ci ne sont pas agréés et Caïn n’en retire qu’humiliation et déconsidération, tandis que ceux d’Abel, bien accueillis, le désignent comme le préféré, «un privilégié ». Pris par la colère jusqu’à en avoir le « visage abattu », il tue son frère. Le déclenchement de la violence fratricide l’entraine dans une errance de lui-même et une angoisse trop lourde à porter car, dans un tel climat, toute rencontre devient une menace qui peut engendrer un cycle de vengeance sans fin.

 

Ce qui libère et sauve Caïn n’est pas la recherche des motifs de colère ni la conscience de la gravité du mal, et Dieu lui-même s’y casse les dents (Gn 4, 6-7). Ce n’est pas non plus l’angoisse de la culpabilité qui ôte tout repos du cœur et du corps. Ce qui sauve Caïn et le tient en vie, c’est le « signe », mystérieux, que Dieu met sur lui. Dieu croit en Caïn et ne cesse pas de parler avec lui jusque dans la colère,  jusqu’au fond de l’angoisse qui l’engloutit. Comme chacun de nous, Caïn a un prix infini aux yeux de Dieu qui ne l’abandonne pas à la violence dévorante et sans limite qui nous manipule. Prix d’une vie qui trouve son bonheur à se transmettre et déploie l’amour en créant du bon. Ce qui nous sauve et nous « protège » c’est cette parole adressée, soutenue jusqu’au bout. Elle est le signe de reconnaissance et de paix inlassablement redonné. La moindre parole prononcée par quelqu’un exprime le désir d’être écouté et l’espérance d’une réponse, elle  appelle à rencontrer et à dialoguer, comme sur des ronds-points. Dans la parole échangée naissent ensemble une création et un avenir. Là se lève une justice à l’encontre des calculs de pouvoir et de domination. Car la parole n’a pas d’autre destinée que de prendre chair et de nouer des liens. Celle qui à Noël prend chair en Jésus, signe de paix, vient de bien au-delà de nous,  et elle nous le rappelle avec joie.

Elle germera et prendra chair dans ce temps incertain, si nous faisons nôtre la confiance de Caïn dans une parole partagée qui libère de la colère et nous met en route.