Jacques Scheuer commence son livre avec une question : « Serait-il vrai, comme on l’a plus d’une fois prétendu, que l’Orient et l’Occident jamais ne se rencontreront, jamais ne se comprendront ? » Cette question fait écho à un verset tiré de l’ouvrage bien connu de Rudyard Kipling, The Ballad of East and West : « Oh, l’Est est l’Est, et l’Ouest est l’Ouest, et jamais ils ne pourront se rencontrer avant que le ciel et la terre ne soient jugés devant le grand trône de Dieu. » Ces propos, pour beaucoup, fondent la seule réponse possible à la question de l’auteur : « Oui, c’est vrai ! » Le paradoxe, c’est que Kipling a répondu « non » à la même question, et ce dans le verset qui suit celui que nous venons de voir : « Mais il n’est ni Est ni Ouest, ni frontière, ni naissance, ni race / quand deux hommes forts des bouts du monde se rencontrent face à face. » Ces quelques mots de Kipling nous aideront à mieux comprendre la démarche de ce livre.
Jacques Scheuer invite chaque lecteur à rencontrer « face à face » soit le bouddhisme, soit le christianisme, soit les deux, en partant de sa quête spirituelle. Une telle rencontre exige que chacun soit « fort » : fort dans sa propre foi et radicalement ouvert à ce que vivent les autres, jusqu’à se laisser interpeller par eux. Le livre est donc exigeant, et c’est heureux. Car lorsqu’il s’agit de quête spirituelle, on ne peut se satisfaire ni d’approximations, ni d’amalgames, ni de jugements hâtifs fondés sur des idées reçues. Tout cela rend la rencontre superficielle et parfois dommageable.
Le fait que ce livre soit exigeant ne veut pas dire pour autant qu’il soit inaccessible ! Certes, il y a quelques termes à apprendre et même quelques idées susceptibles de donner le vertige, dans la mesure où elles sont très profondément enracinées dans une autre manière de vivre et de penser la quête spirituelle. Mais J. Scheuer, jésuite, riche de son expérience à l’Université catholique de Louvain où il enseigne le bouddhisme depuis longtemps, et aux Voies de l’Orient (à Bruxelles) dont il est un des animateurs, est très qualifié pour guider ses lecteurs à travers ces terrains encore un peu inconnus. Ceux qui le connaissent ou qui ont lu ses articles apprécient sa pédagogie et sa compétence en la matière. Tout cela donne à son livre un poids considérable.
L’auteur connaît bien les différences, parfois radicales, entre les deux traditions. Pour l’une, tout s’explique sans Dieu (un Dieu d’amour qui est en même temps de l’ordre de l’absolu) ; pour l’autre, rien ne s’explique sans Dieu, et surtout pas le phénomène de l’homme. Pour l’une, l’accent est mis sur la non-dualité, sur la Vacuité, ou encore sur l’interdépendance de tous les phénomènes… et c’est la consistance même du Soi qui semble être mise en question ; pour l’autre, le Dieu d’amour, source de toute vie, est radicalement autre et fondamentalement relationnel, ce qui donne à la relation interpersonnelle, et à chaque personne, une valeur inestimable, mais peut aussi, quand cela est mal compris, aboutir à des formes d’individualisme totalement inacceptables pour les bouddhistes. Cependant, grâce à son expérience, Jacques Scheuer sait que ces différences-là, et bien d’autres encore, n’empêchent nullement le dialogue. Au contraire, bien comprises, elles invitent bouddhistes et chrétiens à poser un autre regard sur leur propre foi et sur la foi de leurs interlocuteurs.
Dans chacun des douze chapitres, l’auteur, en s’appuyant sur des paraboles ou des anecdotes, introduit le lecteur à l’univers bouddhique. Il fait de même du côté chrétien. Il explique en quoi le bouddhisme interroge la foi chrétienne et vice-versa. Et sans tomber dans un comparatisme infructueux, il montre les espaces de dialogue, surtout au niveau de l’expérience, susceptibles de s’ouvrir entre bouddhistes et chrétiens. Si ce va-et-vient entre les deux traditions est très intéressant, il peut être déstabilisant. Voilà pourquoi J. Scheuer, qui le sait, n’abandonne jamais ses lecteurs. Il les prend par la main et les conduit tout au long du chemin qu’il leur propose, et qui les aidera à découvrir à la fois le bouddhisme, le christianisme et surtout les bienfaits d’une véritable rencontre entre ces deux traditions.
Un livre à lire et à méditer.