« Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés », nous dit Jésus. Cette injonction peut nous troubler. Pourtant, elle éclaire le rapport entre jugement et justice, entre la faculté de juger et l’exigence d’être juste. Quoi que nous ayons à vivre ou à faire, nous sommes sans cesse amenés à jauger des situations, à évaluer des risques, à juger de la compétence d’une personne ou d’un groupe… Mais dans quel esprit le faisons-nous ?

Des événements récents appellent une réflexion éthique. Si l’affaire d’Outreau a révélé les fragilités des procédures judiciaires, n’est-ce pas, à l’inverse, l’absence de règle qui a permis les excès financiers, laissant au jugement de quelques-uns la possibilité de tout gagner ou de tout perdre ? Par quel chemin se construit un jugement juste pour révéler la vérité d’un passé et ouvrir l’avenir (L. Aynès) ? Parce qu’il s’agit ici de se décider « en conscience », la question déborde l’éthique et ouvre une dimension éminemment spirituelle. Comment aller au coeur de la délibération inté­rieure, comment trouver la paix intérieure qu’implique un jugement sûr, si le don de la liberté est sans fondement ni finalité (G. Marle) ?
Pour les chrétiens, la recherche d’un jugement juste engage l’avènement de la justice de Dieu dans le discernement de son Royaume. Jésus se manifeste comme le seul juste juge, en s’appuyant sur la miséricorde du Père depuis les origines. Là seulement, la vérité peut révéler les véritables motifs du jugement des hommes, comme dans l’épisode de la femme adultère (M. Rastoin). La lecture de l’Évangile nous plonge ainsi dans le jugement de Dieu sur le monde : un « oui » qui sauve les hommes et un « non » contre toutes les forces de destruction. Voilà qui peut nourrir l’espérance en un temps de crise comme le nôtre (J.-L. Souletie). La Promesse de Dieu vient ouvrir un horizon nouveau, là même où les ressorts de l’injustice sont mis en évidence par la foi. Ce salut n’est pas abstrait, et la prière est ici précieuse : devant Jésus en croix, chacun peut se laisser transformer, comme le larron, par l’amour de celui qui donne sa vie pour nous et ouvre des issues dans les coeurs fermés (G. Perret).
Dès lors, au lieu de juger Dieu dans les événements, il s’agit d’abord de faire place à l’autre, dans une écoute patiente et un regard attentif. Une pratique psychologique le montre bien : en « suspendant » son jugement, l’analyste permet au patient d’élaborer une parole libre et de progresser dans la recherche de son désir (A. Lannegrace). De même, dans la vie spirituelle, un dialogue fécond ne peut s’ouvrir sans un « préjugé favora­ble », cette bienveillance demandée et reçue comme une grâce, qui vise à sauver la proposition de l’autre en écoutant l’Esprit (M.-A. Le Bourgeois). Prendre le temps d’écouter « les mots justes » au sein de l’entreprise est aussi la seule manière pour un responsable de se faire un jugement, nécessaire à ses décisions… À condition d’échapper à la fascination de l’argent et aux honneurs de la réussite (D. Hiesse).
Si le critère du jugement de Dieu est de sauver l’homme, alors nous pou­vons nous y abandonner sans crainte, puisque c’est sa miséricorde qui nous ajuste à Lui. Il nous reste à travailler à tout ce qui sauve l’humain dans le monde : ces actes-là ont une dimension éternelle (M.-L. Brun).