Grâce aux éditions Johannes-Verlag, peut-être accèderons-nous à l’oeuvre complète (soixante volumes ?) d’Adrienne von Speyr, dans de fort belles traductions et une esthétique soignée tout allemande. Avec Trois femmes et le Seigneur, nous entrevoyons pourquoi le théologien Hans Urs von Balthasar reconnaissait à cette âme soeur un charisme de prophétie, s’émerveillant de ses interprétations évangéliques. Et les familiers de la manière « ignatienne » entreront volontiers dans le genre littéraire. Car, en somme, il ne s’agit de rien d’autre que de lire le récit évangélique avec la plus grande attention et de le laisser parler. Adrienne von Speyr prend le texte au ras des mots et, si elle nous conduit parfois dans des élévations théologiques, ce sera sans jamais quitter le concret de la scène d’Évangile. Phrase après phrase, sans négliger aucun mot (« Il prit place à table », « continuant son chemin », « elles achetèrent des aromates ») car la moindre miette de texte a du sens, nous entrons dans le mystère. Au fond, lire Adrienne von Speyr constitue un exercice d’acuité du regard et de l’écoute. Nous observerons qu’elle n’a pas attendu la critique contemporaine pour, fort opportunément, ne pas confondre Marie Madeleine avec la « pécheresse » de Luc 7. Chacune des « trois femmes » envisagées ici – Madeleine, la pécheresse, Marie de Béthanie – ouvre sur un mystère : respectivement la foi, l’espérance et l’amour. Riche proposition, il suffisait d’y penser ! À mon sens, la troisième séquence est la plus nourrissante, sur Marie de Béthanie et sa soeur Marthe. On y repart en quête de « l’unique nécessaire », celui qu’a choisi Marie mais dont Marthe, tout active qu’elle est, pourrait ne pas s’exclure. Il est la « pure persévérance dans l’amour », il est la joie mutuelle de Jésus qui parle et de l’âme qui l’écoute. Que t’est-il arrivé, folle et chère Marthe, que tu aies prétendu un instant faire taire le Seigneur, interrompre dans sa parole le Verbe de Dieu ? Est-ce que toute notre existence ne devrait-elle pas consister à tendre l’oreille pour l’écouter ?