Voilà enfin traduit en français – qui plus est par Dom André Louf, linguiste et fin connaisseur des traditions chrétiennes orientales – un livre qui joua un rôle majeur dans l'histoire religieuse et intellectuelle en Russie au XXe siècle. En effet, Sur les monts du Caucase fut à l'origine de la fameuse crise onomatodoxe qui ébranla l'Église russe peu avant la Première Guerre mondiale, il nourrit aussi toute une lignée de penseurs – mathématiciens, philosophes, romanciers, théologiens – au long du XXe siècle. Son auteur n'avait bien entendu aucune idée de la destinée de son livre qui se propose de faire l'éloge de la « Prière de Jésus », ce fil rouge de la tradition monastique orientale. Sur les monts du Caucase fait penser au célèbre Récits d'un pèlerin russe, il en reprend la dimension narrative, racontant la rencontre de l'auteur avec un ermite du Caucase, avec des anecdotes spirituelles et pittoresques. Mais il comprend aussi de longues pages de description de la nature, révélant toute la dimension cosmique de cette tradition : le lecteur contemporain sera sans doute sensible à cet aspect, qu'il ne manquera pas de rattacher à une sensibilité russe, de Boris Pasternak à Andreï Tarkovski. Mais l'auteur mobilise aussi, dans l'esprit de la Philocalie, des citations des Pères, des grands spirituels russes du XIXe siècle, des commentaires des évangiles, sans chercher à proposer un exposé didactique : ce livre est touffu, chaotique, déroutant, mais c'est sans doute ce déroutement qui fait sa force spirituelle et sa dynamique.