Préf. N. Hausman. Trad. D. Marchal. Lessius, coll. « La part-Dieu », 2008, 144 p., 15,50 euros.
La vraie question, à laquelle Michelina Tenace, membre permanent du Centre Aletti de l’Institut pontifical oriental, cherche à répondre, est posée dès l’avant-propos : « Si la réflexion théologique sur la façon d’être responsable vient à manquer, comment affrontera-t-on la fidélité au charisme, en un temps où les dynamismes des relations sont profondément transformées, mettant en question toute forme d’autorité ? » Pour aborder cette « réflexion théologique », l’auteur commence par brosser à grands traits l’histoire de la vie religieuse et à la fois de la réflexion qui l’accompagne, d’Antoine à Ignace de Loyola, en passant par Basile, Benoît, Dominique et François.
Un long développement est proposé autour de la figure d’Ignace dont la conception du gouvernement est une « synthèse entre tradition et modernité ». L’auteur rappelle qu’Ignace n’est d’abord, à l’imitation d’Antoine, que le maître spirituel de quelques compagnons ; que le voeu d’obéissance à un supérieur n’intervient qu’en fin du parcours de fondation, comme un moyen de rester unis dans la dispersion ; enfin que le gouvernement d’Ignace devenu supérieur général est avant tout « le gouvernement d’un saint » qui met toute son autorité au service de l’unité du Corps qu’est la Compagnie, tout en sachant s’effacer peu à peu devant l’expérience spirituelle propre à chacun de ses compagnons.
Mais c’est la figure de Basile qui est pour l’auteur fondamentale, car lui, qui savait unir expérience de foi et formulations dogmatiques, est théologien de la vie religieuse et de la Trinité : « Basile de Césarée, Père de l’Église, évêque, saint moine, apporte une contribution décisive à la vie monastique, alors qu’il est occupé à la formulation du dogme trinitaire, en en développant principalement trois aspects : la divinité du Fils, la distinction des Personnes divines par les relations, la divinité de l’Esprit. » Pour lui, « l’obéissance religieuse se dessine à la lumière de la “fraternité” ». « La personne, la Trinité : voilà le sens de l’être chrétien. » C’est à cette tradition que l’auteur propose de nourrir, encore aujourd’hui, la réflexion sur la vie religieuse comme « confession de la Trinité ».
C’est ainsi que l’on peut voir l’horizon de la vie religieuse comme trinitaire et affirmer que, dans cette vie, la relation est un défi divin. « La perfection en Dieu est l’amour, et la personne est d’autant plus parfaite qu’elle aime. Dans le contexte de la vie religieuse, l’ennemi de l’autorité n’est pas la désobéissance mais l’individualisme, où nous faisons seulement référence à nous-mêmes et où nous créons une situation d’autosuffisance. »
« Gardien » de cette Sagesse divine, c’est-à-dire de la koinônía, le supérieur doit se garder lui-même de ces deux tentations que sont « l’arrogance », qui s’arroge des droits qui n’en sont pas, et la « nonchalance », au sens de laisser-aller, d’indifférence, de « résistance passive ». Il sera le premier à être contemplatif : « Le coeur et les yeux purifiés, il doit pouvoir reconnaître l’action de Dieu en chaque personne confiée à ses soins pour mettre son autorité au service de la rencontre de la créature avec son Créateur. »
Cette façon spirituelle traditionnelle de concevoir le gouvernement n’a-t-elle pas été détournée en Occident ? C’est en tout cas ce qu’affirme à plusieurs reprises l’auteur. Ainsi s’est répandu au plan théologique ce qu’elle appelle l’« exil de la Trinité », et, au plan de la vie religieuse, la confusion entre l’obéissance religieuse et l’obéissance hiérarchique institutionnelle.
Par la suite, M. Tenace évoque le combat nécessaire que la communauté et chacun de ses membres doivent mener contre toutes les tentations qui cherchent à détruire cette communion. Elles se présentent sous l’aspect traditionnel de droits : droit de satisfaire ses propres goûts (la manne et les cailles), droit d’avoir un médiateur à adorer (le veau d’or), droit de « se faire un nom » par la création d’une oeuvre (la tour de Babel). Le service du supérieur alors est vu comme la construction « avec les frères et les soeurs, de communautés fraternelles en lesquelles Dieu soit cherché et aimé avant tout ».
La dimension missionnaire de la vie religieuse n’est pas absente du propos. Une telle « communion » doit être en effet rendue visible, quelle que soit la forme de la vie religieuse : « Elle est belle, cette communauté qui rend visible, dans la grâce de la conversion, la force invisible de l’Esprit de Dieu. » Car c’est finalement de « beauté » qu’il s’agit ici. « Dans la théologie de la Sagesse, la beauté a pour degré absolu la mystique, c’est-à-dire la perfection de l’unité spirituelle. L’homme tend vers cette perfection d’une double façon : en tant que personne qui unit en elle matière et esprit et en tant que communauté qui unit les personnes en de “belles” relations qui sont oeuvres de l’amour. » Cette Sagesse qui vient d’en haut est celle des béatitudes : elle est pure, de cette pureté qui est la béatitude du coeur qui voit Dieu ; elle apporte la paix, parce que « paix » est le nom du Fils de Dieu ; elle est douce et conciliante. Enfin et surtout, elle est féconde : féconde de sainteté, d’amour, de confiance inconditionnelle dans la bonté des personnes, de sens et de « bon sens », de vie et de vie éternelle.